jeudi 21 novembre 2024
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17 livres de poche à bouquiner cet été

Du premier polar du Britannique Ellory au voyage d’une Anglaise sur le continent au temps de la Terreur, d’un Lovecraft pur jus à un très noir roman sur l’île de Beauté… Une sélection de petits formats pour grandes évasions.

ROMANS

Papillon de nuit, par R. J. Ellory

Delphine PERAS

Premier titre d’une nouvelle collection de Sonatine, destinée à réunir « pépites oubliées et rééditions », Papillon de nuit est aussi le premier roman d’Ellory, publié outre-Manche en 2003. On connaît le passé agité (petite délinquance, rockeur) de l’auteur des Anonymes et des Neuf Cercles, mais ce bouillonnement britannique ressemble à un gazouillis d’enfants de choeur face à la jeunesse mouvementée de son héros, Daniel Ford, dans l’Amérique en crise des années 1960. Arrêté en 1970, douze ans auparavant, pour le crime de son ami Nathan, Daniel, 36 ans, attend dans le couloir de la mort. Et se souvient. De sa rencontre, à 6 ans, en Caroline du Sud, avec celui qui deviendra son « frère de lait », fils d’un pasteur baptiste noir. De leur épopée et de celle de l’Amérique du Vietnam, de la drogue et de la lutte pour les droits civiques… A méditer, assurément, hors les murs.

Marianne Payot

Trad. de l’anglais par Fabrice Pointeau. Sonatine, 512p., 14€.

Toxic Phnom Penh, par Mathias Bernardi

Delphine PERAS

Méfiez-vous des contrefaçons, surtout lorsqu’il s’agit de médicaments. C’est à ce juteux trafic que vont s’adonner un parrain de Phnom Penh, l’Oncle, et un trentenaire canadien d’origine khmère, Rainsy. Mais à la suite de plusieurs décès suspects, deux représentants de la Division IV – l’un français, l’autre cambodgien – vont enquêter sur ces méfaits pharmaceutiques, dans un pays criminogène où « les flics [font] pratiquement ce qu’ils [veulent] sans avoir de comptes à rendre à quiconque ». Révélé en 2008 avec le polar historique La Ville sans regard, Mathias Bernardi réussit un thriller à l’intrigue sinueuse et efficace, qui glacera le sang de plus d’un consommateur excessif de pilules…

Baptiste Liger

Le Masque, 471p., 7,90€.

Quatre Murs, par Kéthévane Davrichewy

Delphine PERAS

Après la mort du père, les quatre enfants se retrouvent dans la maison familiale que leur mère a décidé de vendre. Chacun a fait sa vie de son côté. Avec succès pour les aînés, Saul et Hélène ; avec plus de difficulté pour Réna, handicapée à la suite d’un accident qui hante les mémoires. Son jumeau Elias, pianiste sans ambition, a quitté sa femme. Deux ans plus tard, sur le point de se revoir en Grèce, pays de leurs aïeux, frères et soeurs doutent toujours des liens qui les ont unis. Comment s’émanciper de ce passé commun qui les a autant construits que déconstruits? En donnant la parole à chacun, Kéthévane Davrichewy livre autant de points de vue différents sur une même histoire familiale chaotique, poignante. A la fois dramaturge et psychanalyste, la romancière témoigne d’une grande finesse.

Delphine Peras

10/18, 144p., 6,10€.

Petite Louve, par Marie Van Moere

Delphine PERAS

Si vous l’avez raté lors de sa parution en 2014 à la Manufacture de livres, précipitez- vous sur ce premier roman noir, très noir, très fort. C’est une course-poursuite oppressante en Corse, où Agathe Ankri et sa fille de 12 ans tentent de semer deux caïds sanguinaires : des Gitans marseillais qui veulent venger leur frère, tué par Agathe après qu’il eut violé sa « petite » à la sortie du collège. OEil pour oeil, instinct de survie. La gamine, très mature, comme cadenassée, et sa mère, à cran, vont trouver refuge chez le berger Orsanto. Un répit de courte durée? Des flingues, des couteaux, du sang, du sperme, beaucoup de violence : d’une écriture chauffée à blanc – quel style ! -, l’auteur, née à Pau en 1977 et établie à Ajaccio, explore avec éloquence les tréfonds de la nature humaine, dans un décor de toute beauté.

Delphine Peras 

Pocket, 224p., 6,50€.

L’Art de voyager léger et autres nouvelles, par Tove Jansson

Delphine PERAS

Loué soit le Livre de poche, qui remet en lumière l’oeuvre de la Finlandaise Tove Jansson (1914-2001), surtout connue pour sa série jeunesse Les Moomins. Après Le Livre d’un été, sublime, et L’Honnête Tricheuse, voici donc un recueil de 15 nouvelles inédit en français, où l’on retrouve la simplicité de son écriture, l’intensité de ses évocations. S’enchaînent ainsi les chapitres d’une vie à travers le souvenir du premier Noël de l’enfance rempli de « bruissements mystérieux », ritualisé et joyeux ; celui de l’apparition d’un iceberg fascinant, ou encore de la rencontre, sur une île, avec un écureuil difficile à apprivoiser. Et puis ce dernier été dans le golfe de Finlande… Si Tove Jansson se raconte, à la première personne le plus souvent, avec « papa », « maman », le camarade Albert, le géologue Jeremiah, elle laisse le beau rôle à la nature, aux saisons, au ressenti.

Delphine Peras 

Trad. du suédois par Carine Bruy. Le Livre de poche, 168p., 5,60€.

Guide du loser amoureux, par Junot Diaz

Delphine PERAS

Vous êtes fan de Thierry – Popeye – Lhermitte dans la trilogie des Bronzés ? Nul doute que vous prendrez un plaisir fou à dévorer le recueil de nouvelles de l’Américain Junot Diaz. Dans ce Guide du loser amoureux, à la langue grivoise et pleine d’énergie, on retrouve en effet l’incorrigible et récurrent Yunior, que les filles considèrent comme « l’archétype du Dominicain » de New York – à la fois macho, infidèle et sentimental à sa manière. Au-delà des tribulations cocasses de ce latin lover, Diaz sait aussi se montrer grave (notamment lorsqu’il évoque la mort d’un frère) et plus politique qu’il n’en a l’air (le rêve américain est-il vraiment pour tous ?). Et, au final, « la vérité, c’est qu’aucune relation au monde n’échappe aux turbulences ». 

Baptiste Liger

Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Stéphane Roques. 10/18, 216p., 7,10€.

Un doux parfum de mort, par Guillermo Arriaga

Delphine PERAS

Immense succès en Amérique latine, où il est sorti en 1994, ce deuxième roman du Mexicain Guillermo Arriaga garde une saveur intemporelle, drôlement pimentée. A Lomo Grande, petit village du Mexique rural, on découvre le cadavre d’une jeune fille, poignardée dans le dos. La populace est en émoi, la gendarmerie bien embêtée car sommée d’inculper un coupable idéal. Comme le Gitan, par exemple, fils bâtard d’un Basque et d’une serveuse, bel homme aux yeux verts prompt à s’enticher de femmes mariées. C’est dire si nombre de cocus voudraient lui faire la peau ! Et voilà que l’on somme le timide Ramon Castaños, qui tient la gargote locale, de retrouver l’assassin supposé de la victime, dont tout le monde croit qu’elle était sa dulcinée. Pauvre Ramon, embarqué dans une histoire de vengeance qui le dépasse… L’humour noir fait bon ménage avec un scénario sanglant dans ce vaudeville au goût de tequila.

Delphine Peras

Trad. de l’espagnol (Mexique) par François Gaudry. Libretto, 176p., 8,10€.

La Couleur tombée du ciel, par H. P. Lovecraft

Delphine PERAS

Dans le registre du conte horrifique, on a très rarement égalé les nouvelles de l’Américain Howard Phillips Lovecraft (1890-1937). Ceux qui n’ont jamais plongé dans ses fictions cauchemardesques pourront découvrir cette oeuvre majeure grâce à la réédition de quelques-unes de ses plus effrayantes histoires – L’Appel de Cthulhu, Dans l’abîme du temps et La Couleur tombée du ciel – avec sa lande foudroyée, tout en grisaille depuis le passage d’une météorite… Comme le souligne justement François Bon – qui a préfacé ces trois petits volumes, dans une remarquable nouvelle traduction -, Lovecraft se révèle incontournable car il a su créer « un monde où toutes les peurs peuvent surgir du contexte le plus ordinaire ». Un must.

Baptiste Liger

Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par François Bon. Points, 134p., 5,90€.

DOCUMENTS

La Révolte dans le désert, par Lawrence d’Arabie

Delphine PERAS

C’est pour des raisons financières que T. E. Lawrence décide d’éditer de son vivant une version abrégée et grand public des Sept Piliers de la sagesse, prévus pour une publication posthume. Le colonel britannique supprime des chapitres entiers, notamment son viol supposé par le gouverneur turc. Il se met moins en scène et donne du nerf au texte. Le titre est sobre : La Révolte dans le désert. A sa sortie, mi-ironique, mi-sincère, Lawrence estime que « la moitié d’une calamité, c’est toujours mieux qu’une entière ». Mieux vaut se fier au jugement de Christian Destremau, son biographe : « Pour le lecteur moderne, c’est une oeuvre du coin du feu, profondément satisfaisante ; elle éclaire aussi le Moyen-Orient bouleversé que nous connaissons. »

Emmanuel Hecht

Présenté par Christian Destremau. Perrin, 542p., 11€.

Une enfance de rêve, par Catherine Millet

Delphine PERAS

Après avoir traité avec éclat (et succès) de ses libertinages (La Vie sexuelle de Catherine M., Seuil, 2001) et de ses jalousies (Jour de souffrance, 2008), la fondatrice et directrice d’Art Press livre le récit très cérébral et impressionnant de lucidité de son enfance dans les années 1950. Loin de la vie de château, c’est dans un petit appartement de Bois-Colombes, en banlieue parisienne, que niche la famille de l’auteur. Un quotidien rythmé par les mésententes entre le père, Louis, marchand de voitures, et la mère, Suzanne, sténodactylo. Bizarrement, Catherine, bonne élève excentrique, sort renforcée de cet « enfer familial » qu’elle trahira bientôt en se hissant, telle une Annie Ernaux, dans la classe sociale supérieure.

Marianne Payot

J’ai lu, 286p., 7,60€.

L’Histoire à la casserole, par Henri Pigaillem

Delphine PERAS

De A comme Albufera (sauce inventée par le cuisinier de Talleyrand, empruntant le nom d’une rizière de la région de Valence, en Espagne) à Zakouskis (rite russe d’amuse-bouches en vogue depuis la bataille de la Moskova, en 1812), en passant par Port-Salut (fromage inventé par des moines trappistes en Westphalie), ce Dictionnaire historique de la gastronomie se dévore à pleines dents. Ce n’est pas le comte Sandwich, amiral britannique du XVIIIe siècle et joueur de cartes invétéré, qui nous contredira. Capable de sauter un repas pour ne pas quitter la table de jeu, mais pas de jeûner, il se satisfaisait des viandes et autres mets intercalés entre deux tranches de pain, composés par son cuisinier. Ceux qui ont de l’appétit s’attarderont sur une curiosité : les plats auxquels sont appliqués des noms propres. Ainsi, le Gauguin est un cocktail (rhum blanc, jus de citron et citron vert, morceaux d’ananas, sirop de fruits de la passion, cerise et glace pilée) ou un poulet, avec une sauce aux fruits (agrumes, abricots, poires, amandes).

Emmanuel Hecht 

Folio, 466p., 8€.

Sept Années de bonheur, par Etgar Keret

Delphine PERAS

Nouvelliste réputé et cinéaste à succès (Les Méduses, caméra d’or 2007), Etgar Keret publie une sorte de journal intime qui débute à la naissance de son fils et s’achève à la mort de son père. Soit sept années de bonheur (tout relatif) et un véritable plaisir de lecture. Dès les premières pages, alors que sa femme est en train d’accoucher, Etgar relate, avec humour, cette vie israélienne surréaliste, où l’on passe en une seconde du confort paisible aux alertes aériennes. « Juif totalement stressé », dont les deux parents, nés polonais, sont des rescapés de la Shoah, l’auteur s’est forgé un monde de mots, de fantaisie et d’esprit. Sa vie se déroule comme dans un théâtre, entre son fils, un vrai manipulateur, son épouse, une femme au « très mauvais fond », sa soeur ultraorthodoxe, ou encore son copain aux louches activités immobilières. Tout, ici, est prétexte à sourire. Un joyau d’autodérision et de finesse.

Marianne Payot 

Trad. de l’anglais (Israël) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso. Points, 216p., 6,50€.

Un séjour en France de 1792 à 1795, anonyme

Delphine PERAS

Etre anglaise sur le continent aux pires moments de la Révolution, entre 1792 et 1795, il y a sort plus enviable. Cette femme, dont on ignore l’identité, parcourt la France du Nord, de Paris à Arras, de Soissons à Rouen, avant d’être incarcérée quatorze mois. Etrangère et accompagnée d’aristocrates françaises, elle est doublement suspecte. En prison, elle écrit, en secret et en caractères abrégés, son Journal. Ce témoignage majeur révèle une grande finesse d’analyse, une culture, une intelligence. Il est publié à Londres en 1796, traduit en 1872 par Hippolyte Taine et jamais republié depuis. « Il est certain qu’un Français, après avoir lu ce livre, trouvera le breuvage amer, note le grand historien ; il faut le boire cependant, car il est salutaire. »

Emmanuel Hecht

Trad. de l’anglais par Hippolyte Taine. Equateurs Poche, 300p., 10€.

Béton armé, par Philippe Rahmy

 

Delphine PERAS

En 2011, à 44 ans, Philippe Rahmy effectuait le premier voyage de sa vie. En Chine ! Atteint de la maladie des os de verre dès son enfance, l’égyptologue et poète venait d’accepter l’invitation en résidence lancée par l’Association des écrivains de Shanghai. Dans un corps-à-corps avec cette « ville de folle espérance et d’immense résignation », Rahmy observe, fantasme, rêve, crie, sourit. Fasciné, lui l’homme immobile, par le mouvement incessant de la mégalopole de 8 millions d’habitants. De sa sinistre chambre d’hôtel au quartier d’affaires de Pudong, du zoo au square du Peuple, il affronte cette cité où s’effondrent les notions de beauté, de laideur, de bien, de mal. Espérons que la publication en Folio donne une seconde vie à ce superbe tableau d’une ville en furie, entrecoupé de souvenirs de l’histoire personnelle de l’auteur.

Mariane Payot 

Folio, 192p., 7€.

L’Affaire Thomas Quick, par Hannes Rastam

Delphine PERAS

Une culpabilité peut en cacher une autre. Ainsi Sture Bergwall – connu aussi sous le nom de Thomas Quick – fut-il considéré comme l’un des pires tueurs en série qu’ait connus la Suède. Condamné et interné pour huit meurtres commis entre 1963 et 1993, celui qu’on a comparé à Hannibal Lecter confessait même une trentaine de crimes. Alerté par le scepticisme de certains spécialistes, le journaliste Hannes Rastam a enquêté pendant plusieurs années sur ce prétendu monstre qui, en réalité, n’était autre… qu’un mythomane patenté! Modèle d’investigation journalistique, L’Affaire Thomas Quick est le fruit de cette histoire édifiante, qui aboutit à l’acquittement du menteur pathologique, aussi génial que terrifiant.

Baptiste Liger

Trad. du suédois par Lucas Messmer. Le Livre de poche, 696p., 8,30€.

Le Fil de l’épée, par Charles de Gaulle

Delphine PERAS

Ce pourrait être un patchwork de conférences prononcées à l’Ecole de guerre, augmenté d’articles théoriques, afin de contribuer au réarmement moral d’une France en proie à un pacifisme dépressif, réponse inappropriée à la grande boucherie de 14-18. C’est beaucoup plus que cela, c’est la « matrice d’un destin », souligne Hervé Gaymard dans une préface inspirée. Sous le Charles de Gaulle de 1932 perce déjà le Connétable, « comme un jeune écrivain trace sa feuille de route et écrit le poème de sa vie dans les limbes de l’adolescence ». Le Fil de l’épée, c’est aussi le premier livre d’un mémorialiste, un style et un souffle. Un exemple, pris au hasard : « Bref, lutteur qui trouve au-dedans son ardeur et son point d’appui, joueur qui cherche moins le gain que la réussite et paie ses dettes de son propre argent, l’homme de caractère confère à l’action la noblesse ; sans lui morne tâche d’esclave, grâce à lui jeu divin du héros. »

Emmanuel Hecht

Tempus, 148p., 7€.

Le Siècle de sang, collectif

Delphine PERAS

Le XXe siècle a débuté avec la Grande Guerre. Depuis, il n’a cessé d’être le théâtre de guerres civiles (russe, espagnole, yougoslave…), coloniales, ethniques… Certaines ont été oubliées (la guerre sino-japonaise, 1937-1945, la guerre de Corée, 1950-1953). Conventionnelles, asymétriques, idéologiques, ethniques : au total, vingt guerres ont ébranlé le globe entre 1914 et 2014. Les meilleurs historiens – Jean-Yves Le Naour, Olivier Wieviorka, Pierre Razoux… – ainsi que les journalistes de L’Express en proposent un récit alerte. Et donnent les clefs du monde d’aujourd’hui.

Marianne Payot

Ouvrage collectif, Pocket-L’Express. 370p., 7,90€.

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