samedi 23 novembre 2024
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Selon Alaya Allani, la seule méthode à même d'éradiquer le terrorisme en Tunisie devra se baser sur la promotion d'un contre-discours religieux, le droit à un procès équitable et la réinsertion sociale des jihadistes "repentis". Photo : TAP

Daech en Tunisie (partie 5)

L’épineuse question de la réinsertion sociale des jihadistes

Y aura-t-il un clash entre les jihadistes revenus au bercail et la société tunisienne ? D’aucuns avancent que l’attitude et la propension à la réinsertion que ces derniers afficheront dépendront étroitement de l’accueil qui leur sera réservé par le pouvoir en place. Parmi les propositions relatives à la gestion du retour des jihadistes, figure celle d’Alaya Allani, historien et spécialiste des mouvements islamistes, selon laquelle l’État devrait mettre en place des infrastructures d’accueil et de réinsertion sociale pour les jihadistes « repentis », disposés à se réintégrer dans la société tunisienne « telle qu’elle est ». Il s’agit selon lui de prévoir un dispositif de réhabilitation en trois étapes qui comprendrait d’abord une procédure de jugement. Il serait ainsi possible, en s’appuyant notamment sur les témoignages, les aveux des prévenus et les informations des services de renseignement de faire justice des jihadistes responsables de graves crimes de masse en Syrie. Mais tout en accordant une seconde chance à ceux qui ne seraient partis que sous l’effet d’une propagande de groupe. Ou qui concevaient le jihad sous le seul prisme du combat solidaire, auprès de révolutionnaires « modérés », contre le régime autoritaire de Bachar al-Assad. Ou encore à ceux qui n’auraient tenu qu’un rôle secondaire au sein de la structure qu’ils ont intégrée. Il est en tout cas des « repentis » qui, sans avoir de sang sur les mains, traînent longtemps un accablant dégoût, voire un traumatisme, de ce qu’ils ont vu sur le terrain : ils ont plus besoin de soutien que de châtiments. Exit, donc, si l’on veut rendre inopérant le phénomène de défiance révolutionnaire à finalité justicière qu’est le terrorisme, les pratiques répressives qui n’ont plus leur place dans l’État de droit auquel aspire la Tunisie.

L’approche par le dialogue

« Viendrait [donc] ensuite l’étape d’accompagnement des ex-jihadistes par des psychologues, des criminologues, voire des cheikhs, explique l’historien. Sans leur procurer un cadre éducatif et un appui psychologique, ces jeunes ne pourront pas se libérer du joug idéologique imposé par leurs recruteurs. » Le but est surtout de pouvoir formuler un argumentaire théologique qui constituerait un contre-discours au moins aussi efficace que celui véhiculé par la littérature jihadiste. Selon M. Allani, les approches théoriques dont usent les idéologues et les enrôleurs jihadistes pour définir et promouvoir leur pensée sont parfois basées sur des « hadith dhaïf » (hadiths de faible crédibilité) et une lecture subjective des textes scripturaires. Les conditions du takfir (procédure par laquelle une autorité religieuse décrète mécréant un musulman qui aurait commis un annulatif de l’Islam), le contexte géopolitique dans lequel le jihad peut légitimement être mené contre une puissance occupante, la doctrine de l’alliance et du désaveu (الولاء والبراء), les conditions d’établissement d’un Califat sur la voie prophétique ou encore la relation exacte entre le politique et le religieux sont autant de thèmes maniés et sciemment commentés par les recruteurs pour captiver, voire convertir, les jeunes intéressés. « L’usage de ces concepts ne doit pas être laissé sous la seule autorité des idéologues jihadistes, explique Alaya Allani. La stricte définition de ces thèmes et les conditions précises de leur mise en application, qui gagneraient à faire l’objet de débats inclusifs, devraient être connues de tous. » Reste toutefois à savoir si l’utilité de la démarche pourra surpasser la force de conviction des idéologues jihadistes, dont l’influence est justement bâtie sur la contre-culture qu’ils incarnent en réaction aux élites bourgeoises officielles (même religieuses), non-reconnues comme détentrices d’un discours islamique légitime.

Réinsertion économique

Enfin, le dispositif d’accueil prévoirait une dernière étape dédiée à la surveillance et à la réintégration des jeunes dans le tissu économique et social. « Il faut mettre en place une caisse d’État qui inciterait à la création de projets économiques par et pour ces jeunes, dont le désoeuvrement a pu être le moteur du basculement dans la violence », souligne M. Allani. Problème : l’État, déjà bien endetté, pourra-t-il s’en occuper seul ? Peut-être pas. Raison pour laquelle le secteur privé et le milieu associatif devraient être sollicités pour rendre financièrement réalisable pareille initiative. Selon Alaya Allani, les projets de réinsertion sociale d’anciens terroristes par la voie économique ont parfois atteint, dans des pays comme l’Algérie ou l’Egypte, des taux de succès de 80%. En sera-t-il de même pour la Tunisie ?

 Nejiba Belkadi

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