mardi 3 décembre 2024
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Souvenirs et Nostalgie !

Par Zouhair BEN JEMAA

L’éthique est au centre de tous les débats. La grande majorité des professionnels de la santé est fidèle au serment d’Hippocrate, mais reste souvent silencieuse devant les brebis galeuses qui nagent dans la corruption, et se plaisent dans la cupidité ! Comme nous ne devons pas confondre éthique et corporatisme, nous allons mener une série d’interviews sur le zénith, avec les maîtres d’hier qui remplissaient divinement bien leur triple mission de soins, d’enseignement et de recherche ! Nos savants nous parleront du passé et porteront un regard sur le présent. Jean Jaurès disait : « On n’enseigne pas ce que l’on sait, ou ce que l’on croit savoir : on enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est » ! Alors intéressons-nous aux conditions d’enseignement du vingt-et-unième siècle, et osons dire les choses pour sauver le service public de la santé !

Pr. Hédi Ben Maïz

Notre invité de la semaine, est le professeur Emérite Hédi Ben Maïz,

  • Chef de service Néphrologie au CHU Charles Nicole jusqu’à 2004.
  • Membre du Conseil National d’Ethique Médicale.
  • Membre fondateur de la société tunisienne de Néphrologie.
  • Membre fondateur de la société francophone de Dialyse.
  • Membre de plusieurs sociétés savantes en Europe et dans le monde arabe pendant plusieurs années jusqu’en 2016 !
  • Elu en 2005 à l’Académie Nationale de Médecine (Paris) et officier de l’Ordre du Mérite (France 2010)

Le Pr Ben Maïz s’est dévoué à la santé publique et à l’enseignement de plusieurs générations, notre invité répétait souvent à ses étudiants : « Lorsque l’argent domine le cabinet du médecin, la Médecine en sort » !

Pr Ben Maïz, parlez-nous d’éthique du temps où vous exerciez à l’hôpital public ?

Du temps où je démarrais, il y avait moins de moyens que maintenant, et la Tunisie était dominée par l’ignorance et la maladie ! Mes maîtres s’étaient engagés corps et âme pour combattre la maladie dans les secteurs public et privé. Grâce à un noyau dur, ils ont créé la faculté de Médecine de Tunis en 1964, avec comme premier Doyen, le Pr Amor Chedly. Leur mission consistait à soigner les malades avec humanité, à former le personnel médical et paramédical, et à éduquer la population. Les chefs de service passaient toutes les matinées jusqu’à 13 heures à l’hôpital, et rejoignaient leurs cabinets l’après-midi, non sans avoir désigné un médecin de garde à l’hôpital ! A cette époque, on enseignait le savoir, le savoir faire (la pratique), et le savoir être (le comportement). A propos de l’éthique, on nous rappelait ce que disait Alexis Carel : « Le sens moral est plus important que l’intelligence, quand il disparaît d’une nation, toute la structure sociale s’ébranle » ! On nous avait inculqué qu’il fallait considérer le malade comme un être humain, on appelait nos malades par leurs prénoms, tout était centré sur le malade, on ne parlait jamais argent ! On nous enseignait également à travers St Thomas d’Aquin, « qu’il fallait un minimum de confort pour pratiquer la vertu » ! A partir de 1978, on avait commencé à faire de la recherche avec si Mongi Ben Hmida, si Hsan Gharbi, et si Hassouna Ben Ayed. On avait des dons du Ministère de l’enseignement supérieur, on avait aussi des aides de la coopération technique, surtout en équipements et en formation à l’étranger ! Des unités de recherche, on était passé à des labos pour atteindre une dizaine en 2010, je dois dire qu’il y a eu, depuis la révolution, une dégringolade dans le domaine de la recherche hélas !

Quel regard portez-vous sur le secteur de la santé après votre départ de l’hôpital en 2004 ?

J’ai l’amère constat qu’il y ait eu une sorte de démission des Médecins formateurs qui ne consacrent plus assez de temps aux personnes à former, et la cause essentielle à ce manquement est l’APC ! Des fois, j’arrive à me demander s’il ne serait pas plus judicieux de tout pratiquer à l’hôpital, y compris l’APC. Il suffirait d’installer une aile privée à l’hôpital qui réaliserait plus de recettes, les dossiers des malades du privé pourraient servir à la formation des jeunes ! Je rêve d’un hôpital de demain, où les femmes et les hommes sont traités humainement. Où le personnel est heureux, où les étudiants sont bien formés ! Nous avons assisté à une réelle dégradation des équipements, de l’environnement, de la sécurité du personnel médical, de la qualité de prestations de certains membres du personnel paramédical surtout ! La santé publique est très malade, et le secteur privé ne se porte pas mieux surtout avec la prolifération d’intermédiaires pas toujours respectueux de l’éthique !

Que suggérez vous aux décideurs, et que diriez-vous à ces brebis galeuses qui versent dans la cupidité et qui font très mal à la noble profession ?

Pr. Hassouna Ben Ayed

Aux décideurs, je demanderai qu’ils privilégient de redonner aux CHU leur titre de noblesse, de mieux payer le personnel médical et paramédical pour mieux les motiver, sachant que la santé publique en sortirait grande gagnante ! je leur demanderai de fournir aux professionnels de la santé des équipements et des conditions de travail selon les normes du secteur ! Je leur suggèrerai de penser au budget d’acquisition et aussi à celui de fonctionnement !

Aux confrères égarés, je leurs demanderai d’être conscients de leur mission en tant que médecin hospitalo-universitaire, et je voudrai leur rappeler qu’en se comportant de la sorte, ils contribuent tristement à la destruction de la médecine tunisienne ! Je leur dirai : Ne m’obligez pas à adopter la parole d’Hippocrate qui disait que les médecins sont nombreux par le titre, et peu nombreux par le fait ! Enfin je conclue par une citation de notre Coran qui dit que l’homme parfait est celui qui est le plus utile aux autres !

Pr Hassouna Ben Ayed : le père fondateur de la néphrologie tunisienne (1926-2010), par Pr Emérite Hédi Ben Maïz :

Né le 27 Juillet 1926 dans l’île de Jerba, île à laquelle ilest resté très attaché, le Professeur Hassouna Ben Ayed a tiré sa révérence le 22 février 2010 à Tunis. Il a été Chef de Service de Médecine Interne à l’hôpital Charles Nicolle durant vingt huit ans. Il a fait de ce Service, dit M8, un service de pointe connu sur le plan international, avec développement de plusieurs spécialités et plus particulièrement la Néphrologie. Il a été membre fondateur de la Faculté de Médecine de Tunis et son Doyen durant dix ans. Pr Hassouna Ben Ayed, par sa parole, ses écrits et son action a rempli magnifiquement sa triple mission de soins, d’enseignement et de recherche, dévolue à tout hospitalo-universitaire. Il a eu le mérite de le faire en sachant concilier hautes spécialisations et vision globale de l’homme, grâce à son immense culture d’humaniste. Son œuvre a marqué d’une pierre blanche la Médecine tunisienne. Son nom restera gravé en lettres d’or dans les annales de la Médecine.

 

Discussion

A propos de Zouhair BEN JEMAA

Expert en art culinaire et en hôtellerie. Actif de la société civile dans le domaine de la santé. Chroniqueur et écrivain.

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