jeudi 21 novembre 2024
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Souvenirs et nostalgie 3

Par Zouhair BEN JEMAA

L’éthique est au centre de tous les débats. La grande majorité des professionnels de la santé est fidèle au serment d’Hippocrate, mais reste souvent silencieuse devant les brebis galeuses qui nagent dans la corruption, et se plaisent dans la cupidité ! Comme nous ne devons pas confondre éthique et corporatisme, nous continuons notre série d’interviews sur le zénith, avec les maîtres d’hier qui remplissaient divinement bien leur triple mission de soins, d’enseignement et de recherche ! Nos savants nous parleront du passé et porteront un regard sur le présent. Jean Jaurès disait : « On n’enseigne pas ce que l’on sait, ou ce que l’on croit savoir : on enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est » ! Alors intéressons-nous aux conditions d’enseignement du vingt-et-unième siècle, et osons dire les choses pour sauver le service public de la santé !

Notre invité cette semaine est le Pr Mongi ZLITNI, maître chirurgien dans le monde de l’Orthopédie. Ce géant de la science aux cheveux gris, frappe d’emblée son interlocuteur par sa modestie, sa passion pour la médecine, son intégrité, il n’aime pas se confier aux médias, par peur de dériver de son éthique, il est entier, émotionnel, terre à terre, patriote jusqu’à la moelle ! Mais il force l’admiration quand il se met à évoquer ses maîtres qu’il vénère, qu’il craint encore même après leurs départs ! La santé tunisienne ne peut pas sombrer dans l’anonymat avec des sommités comme ces grands noms bâtisseurs de la médecine dès l’indépendance ! Notre invité de la semaine va

nous parler plus particulièrement de son maître à lui Feu Mohamed Taieb KASSAB !

Pr Mongi ZLITNI est :

– Professeur Émérite à la Faculté de Médecine de Tunis.

– Ancien Agrégé à l’Institut d’Orthopédie Mohamed Taieb KASSAB

– Ancien Chef de Service d’Orthopédie à l’hôpital Charles Nicole de Tunis.

– Membre d’honneur de la société française de Chirurgie Orthopédique (élu par le bureau de la société)

– Membre de l’Académie Française de Médecine

– Premier Président non occidental de l’Association des Orthopédistes de langue Française.

– Membre fondateur de la Société Tunisienne de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique.

– Auteur de plusieurs articles dans des revues scientifiques internationales.

– Auteur de trois articles dans l’Encyclopédie Médico-chirurgicale.

Pr ZLITNI, Parlez-nous de vos débuts dans la santé publique, et décrivez-nous l’ambiance et les conditions de l’époque !

Avant de parler de mon Maître si Hamadi KASSAB, je ne peux pas ne pas évoquer un autre de mes maîtres avec qui j’ai commencé comme étudiant, puis comme externe, comme interne et enfin comme résident, j’ai nommé Pr Zouhair ESSAFI ! Comment ne pas évoquer ce grand maître qui est parti si tôt à l’âge de 52 ans le 10 avril 1976, en laissant beaucoup d’orphelins, chez lui comme dans la santé publique ? Ce professeur qui enseignait sans jamais avoir de papier à la main, qui était toujours magistral, ce visionnaire qui occupait un bureau de 4 à 5 mètres carrés. C’était le  Pr ESSAFI qui m’avait demandé de rejoindre le service du Pr KASSAB, alors que je voulais rejoindre le service du Pr DARGOUTH, il m’avait dit qu’il faut changer et comparer pour bien se former ! Enfin, je ne peux pas oublier le réveillon de 1972, quand Pr ESSAFI m’avait invité, ainsi que tout son staff, pour réveillonner chez lui à Tunis, c’est vous dire comment étaient les relations entre maîtres et assistants !

Le fait d’avoir été introduit par Pr ESSAFI à mon maître M.T. KASSAB, j’ai eu droit à une espèce de sauve-conduit, et j’ai goûté au bonheur de collaborer avec un homme hors pair, une référence internationale incontournable puisque qu’il recevait dans son service plusieurs chirurgiens Américains, Canadiens et Européens. Mon parcours fut essentiellement dans le service public, je n’ai pratiqué dans le privé qu’à la demande de mes maîtres et après l’autorisation du ministre de la santé, mais je ne le faisais que rarement pour arrondir mes fins de mois ! L’ambiance était formidable, j’ai toujours été très matinal, très studieux, je donnais à si Hamadi les numéros de dossiers des patients à chaque discussion, nous avions des relations très fortes avec nos patients, notre chef se dépensait sans limites dans le service et tenait un rythme infernal, sans jamais se plaindre, il était toujours à la recherche du plus pour faire encore mieux. M.T. KASSAB était un rouleau compresseur, il compensait largement le plein temps aménagé, puisque le dimanche, il était dans son service, il était la rigueur même.  Malgré le manque de moyens, et notamment dans l’hôtellerie, on se surpassait, on faisait des gardes de 32 heures sur 48, nos infirmiers, hommes et femmes, étaient extraordinaires. On acceptait des conditions très difficiles parc que nos chefs savaient nous motiver, et ils nous montraient souvent la voie ! J’ai commencé à enseigner à la Faculté de Médecine à la fin de 1979. L’enseignement était de grande facture car on recevait de grands conférenciers. Mon revenue a toujours été très modeste, mais j’étais heureux d’enseigner, de soigner et d’être fidèle à mes patients ! Lors d’une mission à Montréal en 1985, le Pr FOWLES m’avait chargé d’inviter Pr KASSAB pour une conférence pour l’année suivante, c’est vous dire le rayonnement dont jouissait mon maître à l’international, et plus tard, ce même Pr FOWLES avait déclaré qu’il avait appris la Traumatologie avec Pr KASSAB !

Pr ZLITNI, que diriez-vous à ces égarés qui font si mal à la Médecine par leur comportement indigne et par leur trahison au serment qu’ils ont prêté ?

Oh je leur dirai, craignez Dieu, ayez pitié des patients, honorez le serment que vous avez prêté devant vos mères et vos pères qui doivent vous regarder. Je leur dirai que l’enrichissement n’est pas la fin du monde, l’exemple de Zouheir ESSAFI, de M.T.KASSAB, et de bien d’autres grands noms devraient vous servir d’exemples, regardez comment parle-t-on d’eux des années après leurs disparitions, et remarquez qu’ils n’ont rien emporté avec eux si ce n’est leurs nobles actes et leurs bienfaits qu’ils ont laissés à la médecine !

Comment voyez-vous l’avenir de la santé en Tunisie Professeur ?

Vous savez, tant que les hôpitaux ne sont pas fleuris, tant que le sourire n’est pas sur le visage du patient, tant que la qualité des soins n’est pas satisfaisante, je regrette de rester triste et pessimiste !

Le Pr Mohamed Taieb KASSAB par Pr Mongi ZLITNI :

Pr KASSAB avait une intelligence pascale. Il avait toujours son dictaphone, en pleine visite, il était comme un magicien, il avait toujours la solution, il était parfaitement bilingue, Français et Anglais, ce qui lui permettait de briller dans les quatre coins du monde ! Il ne faut pas oublier qu’il avait commencé comme assistant chef de clinique à l’hôpital COCHIN, au service du père de l’Orthopédie Française, le Pr Robert-merle d’Aubigné, sur la photo ci-dessus. Si Hamadi a été interne des hôpitaux de Paris comme si Hsouna Ben Ayed et si Zouheir Essafi. Même en cas de complication, Pr KASSAB notait toutes les péripéties dans le compte-rendu opératoire. L’OMS l’avait chargé d’une mission importante en 1986, mission qui consistait à mettre sur pieds un service polyvalent d’Orthopédie, d’Appareillage et de rééducation au Niger. Je l’ai vu pour la dernière fois le Samedi 6 décembre 1986 à 18 h au 3ème étage de la clinique Taoufik pour rédiger ensemble le texte d’une conférence qu’il devait donner quelques mois plus tard. A 21 h, il m’a dit on arrête ZLITNI, et il a enchaîné : voilà comment il faut être au service de la science, de la recherche et du patient. Et il a conclu, 3aychek gardez votre dignité ! Je n’ai réalisé le poids de ces mots que quelques jours plus tard. Si Hammadi était parti à Paris le lundi 8 décembre, il a continué vers Niamey le Mardi 9 décembre, et le mercredi 10 décembre, il a eu un accident de santé, il a subi une première opération par un chirurgien Français sur place, une équipe de Tunisiens avec à leur tête Pr Ridha MZABI avait été dépêchée le lendemain pour tenter une deuxième opération, il fut transféré en réanimation à l’hôpital St Joseph, j’ai été envoyé à son chevet le 15 décembre, je suis rentré le 18 abattu, et le 25 décembre 1986, notre grand maître nous a quitté à l’âge de soixante ans et six mois pour laisser un grand vide, jamais comblé depuis ! Le lendemain de son décès, une équipe s’est déplacée à Paris pour ramener sa dépouille, et à l’aéroport de Carthage, elle croisé un grand Pr Allemand qui venait pour une réunion avec son ami KASSAB prévue pour le 27 décembre, à l’annonce du décès de notre Maître à tous, le professeur Allemand a failli tomber dans les pommes par le choc de la terrifiante nouvelle ! Ainsi va la vie !

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