jeudi 21 novembre 2024
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L’Economie tunisienne depuis 2011: la chute libre

Fatma MARRAKCHI CHARFI

Professeure Universitaire

1) Les problèmes économiques majeurs auxquels doit faire face la Tunisie depuis 2011 ? 

Depuis 2011, l’économie tunisienne a du mal à générer de la croissance et à créer des emplois. Même avant la révolution, alors que la Tunisie réalisait en moyenne, entre 2001 et 2010, 4,5% de croissance par an, le problème du chômage ainsi que la répartition inéquitable de la richesse entre les régions, ont montré l’essoufflement du modèle de développement suivi depuis des décennies. En fait, depuis les années 70, la Tunisie a choisi de se spécialiser dans des secteurs à main d’œuvre bon marché (textile). Cette spécialisation a consisté à importer du tissu des pays européens, de l’assembler et de le revendre à ces mêmes pays. Ainsi, la valeur ajoutée exportée était très faible. Aujourd’hui, la Tunisie semble exporter des biens avec un contenu technologique plus élevé mais ce sont les intrants importés et assemblés en Tunisie qui ont un plus fort contenu technologique et les exportations restent toujours à faible valeur ajoutée. Ce choix est en contradiction avec l’orientation choisie par la Tunisie qui consiste à investir dans l’enseignement et le savoir pour avoir des personnes qualifiées sur le marché du travail. Ainsi, le choix de spécialisation n’a pas été capable d’absorber une main d’œuvre diplômée, puisque le tissu industriel n’a pas enregistré une montée dans la chaîne de valeurs mondiales. Ne pouvant satisfaire les demandes des jeunes tunisiens qui ne pouvaient être absorbés par le marché de l’emploi, la révolution a éclaté en 2011 et a renversé le régime. A partir de cette date, les demandes étaient de plus en plus pressantes et des soucis de tout genre ont éclaté dans l’appareil de production (grèves, arrêts de travail intempestifs, …), la Tunisie génère moins de croissance (1,5% par an), ce qui ne facilite pas la création d’emplois.

Sous l’effet des revendications sociales, les différents gouvernements après la révolution ont augmenté régulièrement les salaires et ont recruté massivement dans la fonction publique pour un souci de paix sociale. La masse salariale a alors plus que doublé entre 2010 et 2018 (passant de 6785 MD à 16574 MD), ainsi que les dépenses de la caisse générale de compensation. De ce fait, dans la loi de finance 2018 (LF 2018), la masse salariale rafle environ 50% du budget de l’Etat, les dépenses de compensation et les interventions un peu plus que 15% et le service de la dette autour de 22%. Pour financer ces dépenses incompressibles, l’Etat recourt aux ressources propres à raison des ¾ et des ressources d’emprunt intérieur et extérieur à raison du ¼.

Du coté des recettes, avec une croissance molle, l’Etat a du mal à générer des ressources fiscales qui dépendent de l’activité économique et constituent 67% de ses recettes. Ainsi, si les recettes fiscales font défaut, l’Etat doit augmenter ses ressources non fiscales ou recourir à plus d’endettement. A noter que les recettes non fiscales sont constituées par exemple par les revenus des biens confisqués et des revenus qui proviennent de la privatisation. Il est à rappeler que l’endettement public peut être un endettement interne ou externe et que pour la Tunisie la composante externe, constitue les 2/3 de l’endettement total. Globalement, pour diminuer le déficit budgétaire, il s’agit de faire un arbitrage entre l’augmentation des recettes fiscales et/ou non fiscales ou à réduire les dépenses de l’Etat.

Le déficit budgétaire en plus d’alimenter l’endettement alimente aussi l’inflation dont le taux s’est établi en février 2018 à 7,1%, contre 4,2%, en février 2017. D’autres facteurs contribuent aussi à alimenter l’inflation tels que l’augmentation de salaire sans augmentation de la productivité, la dépréciation du dinar tunisien qui renchérit le prix des importations et l’augmentation du prix du pétrole. On peut aussi citer d’autres facteurs qui ont alimenté l’inflation et ont aussi érodé le pouvoir d’achat du tunisien qui sont la spéculation sur les différents biens dont les subventionnés, les circuits de distribution non contrôlés et la contrebande.

Autre problème aigu vécu par la Tunisie est le déficit courant généré principalement par le déficit commercial. Ces dernières années, l’excédent des services ne comble plus que 5% du déficit commercial ! (attaques terroristes impactant très négativement le tourisme) ce qui a généré un manque de réserves de change et la dépréciation du dinar suite à l’assèchement en devises sur le marché des changes !

Pour récapituler, quels sont les problèmes qu’il faut résoudre pour sortir de cette instabilité ?

Même si la croissance et la reprise semble être de retour, elle reste fragile ainsi que les équilibres macroéconomiques. Ainsi, il faut s’atteler aux problèmes suivants :

– Reprise de la croissance

– Préserver le pouvoir d’achat et maîtriser l’inflation

– Maîtriser le déficit budgétaire (Finances publiques) et le déficit courant.

– Revenir à des taux d’endettement plus soutenables.

2) Les solutions proposées à cette crise ?

– Concernant la croissance, il ne faut pas que la source de la croissance soit la consommation mais l’investissement privé et les exportations (il ne faut pas oublier que l’Etat est fortement endetté en devises donc il est très important de booster les exportations pour qu’elles génèrent des devises nécessaires au paiement de la dette). Il faut que la stratégie soit basée sur une vision de long terme et sur les avantages compétitifs de l’économie tunisienne pour construire des champions capable de se développer à l’international. Cette vision doit se concrétiser à très court terme en mettant les jalons qui encouragent les secteurs où la Tunisie a des avantages compétitifs et les secteurs qu’on voudrait développer (Textile, IME et agroalimentaire). Pour les services, il faut propulser le tourisme, la santé, les services de conseil, la formation, le secteur des TICs et les énergies renouvelables (qui remplaceront l’énergie fossile dont les l’importation est originaire du tiers du déficit de la balance commerciale).

– Préserver le pouvoir d’achat nécessite de maîtriser l’inflation. La stabilité des prix incombe d’abord la BCT qui entreprend d’augmenter le taux directeur pour orienter les anticipations inflationnistes. Mais une grande partie de l’inflation n’est pas d’origine monétaire et nécessite l’intervention de l’Etat pour pouvoir la contenir. Contrôler les circuits de distribution, combattre la fraude est du ressort de l’Etat. Contrôler les importations des biens qui trouvent leur similaire localement peut soulager la pression sur le dinar et du ressort de l’Etat aussi. Par ailleurs, augmenter les salaires sans augmentation de la productivité serait inflationniste et cela incombe à l’Etat aussi. En outre, la lutte contre les pratiques commerciales illicites (corruption) réduirait la taille du marché parallèle et baisserait les prix.

 – Pour maîtriser le déficit budgétaire, il faut soit réduire les dépenses de l’Etat soit augmenter les ressources fiscale et non fiscales. Pour cela, il faut

a – Chercher les impôts chez les fraudeurs, élargir l’assiette des impôts et faire de telle sorte que le régime forfaitaire intègre progressivement le régime réel d’imposition.

b – Accélérer la récupération des revenus provenant des biens de la confiscation

c – Dégraisser le mammouth de la masse salariale et maîtriser les dépenses « budgétivores » de la caisse générale de compensation qui profitent plus aux plus riches qu’aux plus démunis. Le rôle redistributif de l’Etat fera que le fardeau sera moins lourd sur les finances publiques (cibler les plus pauvres par des transferts monétaires).

– Drainer les liquidités vers le formel en limitant le volume des transactions en billets de banque pour une meilleure traçabilité des transactions.

– Coordonner entre la politique monétaire, la politique budgétaire et la politique commerciale et de change. Actuellement certaines actions semblent être contradictoires.

– Pour encourager l’investissement privé qui est la source de la croissance et de l’embauche, il faut assurer une stabilité politique permettant une meilleure visibilité pour les agents économiques et il faut assurer une stabilité au niveau des taxes et des charges qui incombent aux entreprises pour leur permettre d’avoir un environnement économique prévisible (moratoire fiscal).

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