Projet de loi « Droits des patients et responsabilité médicale » : L’ARP dira son mot cet été.
L’ARP examinera durant les prochaines semaines le projet de loi concernant les droits des patients et la responsabilité médicale. Ce projet révolutionnaire devrait être porté non seulement par les professionnels de la santé et les membres de la commission chargée de son élaboration mais également par tous les tunisiens, et tout particulièrement leurs députés. Nous nous proposons dans ce papier d’éclaircir certains points importants.
Pourquoi la Tunisie a besoin impérativement de nouvelles lois concernant la responsabilité médicale ?
Nous assistons depuis plusieurs années, à une augmentation des poursuites pénales à l’encontre des professionnels de la santé pour des fautes médicales ou des supposées fautes médicales avec une médiatisation qui frôle parfois le lynchagemédiatique. Tout dommage est considéré par le grand public comme faute médicale sans pour autant que la preuve ne soit apportée et avant même qu’une expertise médicale ne statuesur le dossier. La notion d’accident médical non fautif étaitméconnue par le législateur tunisien et ce n’est que cesdernières années que les médias s’intéressent au grand chantier qui est la responsabilité médicale.
Qui est fautif ? Et qui en assume la responsabilité ?
La victime d’un accident lié aux soins devrait avoir droit à une indemnisation que le dommage soit lié à une faute ou à un accident non fautif. Le vide juridique a profondément lésé la relation de confiance entre les soignants et les patients. Le soignant était jusque-là traité comme un vulgaire criminel, jugé selon les articles 225 et 217 du code pénal pour coups et blessures involontaires ou homicide involontaire. Certaines carrières ont été brisées. Les soignants sont désormais habités par la peur et la méfiance vis-à-vis de leurs patients et se sont naturellement rabattus sur la médecine défensive. Cette dernière pousse à prescrire plus d’examens complémentaires,à prolonger la durée du séjour et à éviter le recours aux nouvelles techniques thérapeutiques. La médecine défensive est le grand danger qui guette la médecine tunisienne car elleinhibe le progrès d’une part et coûte énormément cher aux contribuables et aux patients d’autres part. Ce vide juridique a également contribué à la fuite des compétences vers l’étranger et au non développement des procédures de sécurité du patient puisque certains soignants qui constatent une défaillance du système de soins, préfèrent le silence au risque de voir leurcarrière brisée en dénonçant des barrières de sécurité non fonctionnelles, mettant le patient en danger. Par ailleurs, et jusque-là, les patients victimes de fautes médicales ou d’accidents médicaux, pour obtenir dédommagement et justice engageaient une procédure pénale à l’encontre du personnel soignant. Une procédure annoncée comme étant la plus facile mais qui s’avère être trèslongue et très pénible pour une victime et une famille en souffrance. Les délais de la procédure peuvent aller jusqu’ à 15 ans. Et comme il est très difficile de prouver la faute et le lien direct avec le dommage, ou que la faute soit systémique c’est-à-dire lorsqu’il y a interaction de plusieurs acteurs de la santé, la procédure peut se solder par un non-lieu pour le soignant et un non dédommagement pour la victime. Un drame qui est ressenti comme un véritable échec pour le patient alors que, outre-mer, le législateur s’est dirigé vers la déjudiciarisation depuis de longues années, le règlement à l’amiable et a développé les procédures visant à minimiser les risques de dommages liés aux soins. Dans la plupart des cas de litiges, la communication constituela défaillance majeure. Le soignant prend peu de temps ou prête peu d’attention à son devoir d’expliquer au patient sa maladie, le déroulement des examens complémentaires, les différentes thérapeutiques possibles, les risques connus,encourus, les principales complications et de le faire participer à la prise de décision. C’est ce qu’on appelle communément la démocratie sanitaire. Le patient, quant à lui, ne connait pas ses droits, précisés jusque-là uniquement par le code de déontologie médicale et consolidés par quelques décrets ministériels
Qu’apporte donc ce nouveau projet de loi ? Cette réforme législative a pour objectif de combler le vide juridique concernant l’exercice de l’art médical et les spécificités du métier. Le soignant étant sensé faire tout ce qui est en son pouvoir et selon les règles de l’art, pour soulager son patient et le soigner avec le minimum de risques possibles. Au niveau de cette loi, nous définissons la faute médicale, l’accident médical non fautif, ainsi que la responsabilité des soignants et des établissements de santé publics et privés. Un chapitre entier a été consacré à l’expertise médicale : les critères de choix, le nombre et la qualité des experts, et les délais à respecter pour établir et rendre une expertise médicale. Les droits des patients ont été légiférés : égalité des soins, droit à l’information, droit à son dossier médical, droit de participer à la prise de décision concernant sa santé,l’obligation d’obtenir son consentement sauf exceptions prédéfinies et droit à la sécurité des soins. En cas de litige,une procédure à l’amiable est proposée en s’inspirant du droit comparé mais en tenant compte de nos conditions socio-culturelles et économiques.
Qui indemnise ? Comment ? Et dans quels délais?.
Tout ceci a été précisé avec clarté après une concertation transversale associant les assureurs, le ministère des finances, le ministère des affaires sociales, le ministère de la justice, les juristes et les représentants de la société civile. La missiond’expliquer aux patients et de mettre en place la procédure sera confiée à des commissions de conciliation et d’indemnisation avec des délais de réponses à respecter. Le but étant de proposer un autre chemin que celui du contentieux pour que le patient victime, d’un dommage lié à une faute médicale ou à un accident médical non fautif, soit indemnisé et de manière équitable qu’il ait été traité dans le secteur public ou dans le secteur privé. Le droit de recours à la justice est bien évidemment sacré en cas d’échec du règlement à l’amiable Cette réforme s’est intéressée au volet sécurité des patients et qualité des soins avec instauration d’un organisme chargé de mettre en place une stratégie de lutte contre les risques liés aux soins et de prévenir la survenue de dommages. Prévenir vaut mieux que guérir. Ce projet vise à responsabiliser l’État face à ses obligations de fournir une santé de qualité pour tous les tunisiens, comme le stipule l’article 38 de notre constitution. Ce projet vise également à responsabiliser les soignants face à leurs obligations, à garantir les droits universels des patients et à promouvoir le progrès de la médecine en Tunisie.
Prof. Aida Borgi. Membre du Comité de réflexion