Tahar Haddad (1899-1935)
Comment ne pas se souvenir de Tahar Haddad en cette période de crise existentielle tant ce grand intellectuel (et syndicaliste, ne l’oublions pas) a été avant gardiste sur la question de l’émancipation de la femme ?
Comment ne pas rendre hommage à cet homme brillant et culitivé qui a ouvert la voie à des générations d’hommes politiques et de syndicalistes tunisiens tant ses idées et ses propositions ont marqué notre histoire…pour qui sait la lire ?
Issue d’une famille modeste originaire d’El Hamma, il fait ses études à la Zitouna dont il sort diplômé en 1920.
Il rejoint le Destour et en devient un membre actif. Il sera vite déçu par son inertie mais aussi par l’ambiance qui y règne notamment par les querelles intestines entre ses membres.
Il débute parallèlement une carrière de journaliste et s’engage aux cotés de son ami Mohamed El Hammi, dans le mouvement syndical tunisien en pleine gestation à cette époque.
En décembre 1924, il participe à la mise en place de la Confédération Générale des Travailleurs Tunisiens destinée à aider les ouvriers tunisiens qui étaient complètement ignorés par les organisations syndicales françaises.
Mais suite à un mouvement de grèves, les autorités coloniales arrêtent plusieurs leaders du syndicat, dont Mohamed Ali El Hammi, qui sera condamné à dix ans d’exil. Rapporteur durant les réunions, Tahar Haddad décide de publier l’essentiel des débats dans un livre : » Les Travailleurs tunisiens et l’émergence du mouvement syndical » paru en 1927.
Tahar Haddad vivra très mal cette période marquée par la dissolution du mouvement syndical, et la censure de son ouvrage !
Il décide alors d’approfondir sa connaissance du Droit et retrouve donc la Zitouna.
Parallèlement il refléchit à la condition de la femme et, dans ce cadre, n’hésite pas à proposer une lecture moderne de l’Islam.
Il demeure en effet convaincu que la religion peut s’adapter en tout lieu et en tout temps, et que le modèle européen ne doit pas surtout pas être copié.
C’est pourquoi il préconise une réforme sociale radicale.
En matière de droits civils, il considère qu’à l’origine, l’Islam considérait la femme comme l’égale de l’homme en termes de droits et de devoirs ; il en est ainsi dans le domaine de la propriété privée.Toutefois, la plupart des femmes confient leurs biens à leurs maris ou à leurs pères. Il rejette cette tradition et appelle les femmes à revendiquer leur droit à un contrôle complet de leur patrimoine. Dans le domaine judiciaire, les femmes n’avaient pas le droit d’occuper des emplois ou d’être témoin. Tahar Haddad explique que l’islam n’exclut pas les femmes de ces droits.
Dans le domaine de l’éducation, il trouve absurde d’exclure les femmes et affirme qu’elles doivent avoir le droit de terminer leurs études et de participer pleinement à la vie publique. Concernant l’institution du mariage, il appelle à libérer la femme de la tradition du mariage arrangé voire forcé.
En matière de divorce, il dénonce la répudiation et propose que les désaccords soient portés devant une cour de justice habilitée à dissoudre le lien matrimonial. Il explique aussi la référence coranique tolérant la polygamie, tout en appelant à son abolition en la considérant comme une pratique pré-islamique. Enfin, il critique le système inégalitaire de l’héritage qu’il juge discriminatoire.
Son ouvrage : « La femme tunisienne devant la loi et la société », parue en 1930, est véritablement un ouvrage clé pour comprendre la Tunisie moderne et son évolution.
Il fait alors l’objet d’une violente campagne de dénigrement de la part des membres du Destour et de la hiérarchie conservatrice de la Zitouna qui ira jusqu’à se plaindre de lui et de ses idées au Bey !
Rejeté, dépouillé de ses droits et de ses titres et affaibli par une crise cardiaque, il meurt des conséquences d’une tuberculose en décembre 1935 dans l’isolement le plus complet.
Mais l’Histoire se chargera de le réhabiliter…
L’institution d’une République moderne voulue par le Pt Bourguiba permettra la mise en oeuvre des idées de Tahar Haddad pour l’émancipation de la femme tunisienne. Sa pensée sera en effet à la base du Code du Statut Personnel.
Au printemps 2012, des obscurantistes ignorants ont profané sa tombe au cimetière du Jellaz…ce qui me donne à penser que le combat pour les libertés publiques est encore long et semé d’embûches.
En conclusion, je forme le voeu que nos jeunes lisent « la femme tunisienne devant la loi et la societé » pour bien saisir la dimension politique et l’épaisseur intellectuelle de cet homme…et tout ce que nous lui devons en terme de réformes sociales et de compréhension de la vériatable place qu’accorde la religion à la femme.
Enfin je me permets d’avoir une pensée pour Mme Jalila Hafsia, directrice du Club Tahar Haddad durant de nombreuses années. Elle a contribué à m’inculquer les bases de la culture féministe tunisienne.
Je lui en serai toujours reconnaissant.