Qu’on le veuille ou pas et quel que soit le positionnement politique, il faut admettre et reconnaître que la démocratie a gagné des points ces derniers jours, n’en déplaise à certains esprits chagrins qui ont du mal à sortir de leur zone de confort habituel.
Une motion de retrait de confiance au président du Parlement, en l’occurrence le leader du parti islamiste, a permis d’utiliser l’arsenal constitutionnel mis à la disposition des députés pour exercer leur pouvoir.
En apparence c’était pour sa mauvaise gestion de l’assemblée, pour son manque de poigne, pour ses absences répétées et pour avoir cédé le pouvoir décisionnel à son directeur de cabinet qui est loin de faire l’unanimité.
Mais en réalité, c’était pour déchoir Ghannouchi de son poste et lui enlever le privilège d’être le deuxième homme fort du pays, ce qui lui aurait porté un coup fatal, notamment à l’approche du Congrès de son parti dont l’issue est loin d’être claire.
Toutefois, c’était sans compter sur la cohésion au sein d’Ennahdha, sur la discipline, qui y prévaut et sur le respect du chef. Certains parleraient de l’esprit sectaire qui y règne et du manque de liberté, mais là l’enjeu dépassait la personne de Ghanouchi ! C’est tout le parti islamiste qui était visé et à travers lui les choix stratégiques sur la politique à tenir au niveau politique.
Rappelons tout de même qu’il ne s’agissait nullement de choix économiques et sociaux en rapport avec la situation en Tunisie, qui vit une crise sans précédent, mais à cause surtout d’une succession d’échecs.
Cette motion de retrait de confiance était importante à plus d’un titre et à plusieurs niveaux. Nous avons vécu des duels entre blocs parlementaires, entre partis, et indirectement entre les deux têtes du pouvoir exécutif et législatif.
Les adversaires d’hier qui sont devenus les amis d’aujourd’hui, les liens qui se font et défont, les trahisons, les mensonges, les rapprochements inattendus, les scissions, les hésitations, les insultes, les tractations, les calculs…bref le Bardo aura été le siège (encore une fois) d’une pièce de théâtre à l’issue complètement incertaine même si une des parties est connue pour avoir plus d’une corde à son arc quand il s’agit de calculs politiques.
Avec un nouvel acteur qui entre en scène, le président de la République qui commence à dévoiler légèrement son jeu et qui n’est pas prêt à céder la partie. Les questions qui se posent à ce niveau sont : dans quel objectif ? Que cherche Kais Said ? Où veut-il arriver? Quel est son programme ? Quelles sont ses intentions? Nous ne savons pas grand chose jusque là, à part que c’est un légaliste pur et d’une intégrité exemplaire.
Le PDL a marqué des points également en arrivant à réunir autour de lui ses pires adversaires politiques. Toutefois, les objectifs n’étant pas les mêmes pour tous, la lecture des résultats reste assez mitigée. Victoire pour les uns, échec pour d’autres …
Ghanouchi restera président du Parlement, ce qui rassure ses partisans et conforte Abir Moussi qui construit son discours politique autour du rejet de Ghanouchi.
Ce qui donne sa force à un parti, c’est la clarté de ses positions et de ses choix (qu’on soit pour ou contre est une autre question). Et seuls Ennahdha et le PDL répondent à cette exigence. Récapitulatif. Ennahdha est un parti islamiste et évidemment conservateur , et le PDL un parti anti-islamiste, souverainiste, étatiste, regroupant les sympathisants du RCD et les anciens destouriens.
Echâab, parti de gauche, panarabiste, séculariste a accepté d’être dans un gouvernement avec son premier adversaire politique. De son côté, AlTayar, parti socio-démocrate, laïc, issu du CPR parti quasi inexistant sur la scène politique, a construit son discours autour du combat de la corruption mais il n’arrive pas à fédérer parce qu’il se retrouve lui aussi dans un gouvernement avec des partis qu’il avait fustigé au préalable (et qu’il continue à faire d’ailleurs).
D’autres partis qui se retrouvent au sein d’un gouvernement hétéroclite et sans aucun liant comme Al Badil , un parti libéral mais qui manque de personnalité, et Nida Tounes qui tel un phénix blessé essaye de renaître de ses cendres sans y arriver.
Machrouû Tounes, parti socio-libéral, progressiste, est complètement perdu ; il n’existe que par quelques sorties médiatiques de son président et fondateur.
Sans oublier bien sûr Qalb Tounes, un parti qui se positionne comme bourguibiste ( tout comme le Nida Tounes, le PDL, Tahya Tounes, Machroû) et pragmatique, qui a perdu toute sa légitimité et s’est auto immolé le jour où il a trahi ses électeurs, en se positionnant du côté de son premier adversaire politique, Ennahda, même s’il ne manque pas une occasion pour nier cela.
Inutile de citer Al Karama, un pseudo-parti, extrémiste, islamiste, anti syndicaliste et populiste qui n’est rien d’autre qu’un groupe de mercenaires qui a su manipuler une bonne partie de la population ( et qui continue à le faire d’ailleurs) et qui se retrouve au Parlement avec 18 députés.
Pour résumer, seuls deux partis tiennent vraiment la route. D’abord ce sont des partis historiques, et qui ont toujours coexisté( depuis la création du Mouvement de la tendance islamique) et la différence essentielle entre eux ne réside pas dans les choix économiques, dans le rôle de l’état et son intervention mais dans le référent religieux. Un parti laïc face à un parti islamiste. Il faut comprendre qu’il est difficile de les classer selon les clivages habituels de droite et gauche, concepts qui ont du mal à s’appliquer à la réalité tunisienne. Ennahdha et le PDL sont deux partis conservateurs, le premier se réclamant révolutionnaire reprochant au second d’être le représentant de l’ancien régime. Entre ces deux partis, il y a une énorme voie qui attend l’émergence de quelque chose de nouveau et qui pourrait apporter de vraies solutions.
Parce que jusque là, rien ne semble marcher !
Ce qui s’est passé au Parlement la veille de l’Aïd est intéressant à plus d’un titre : la confirmation du clivage historique Ennahdha / PDL et l’éparpillement encore une fois des autres partis, malgré tous les points communs entre eux.
La Tunisie essaye de se reconstruire tout en pansant ses plaies, ce qui s’avère très difficile face aux problèmes économiques et sociaux. Elle cherche un positionnement géostratégique en fonction de ses intérêts alors que le pays a toujours prôné la neutralité diplomatique. La peur de la dislocation de l’Etat plane sur toutes les têtes à cause des dissensions politiques et partisanes.
Il va peut-être falloir comprendre tout l’intérêt à former des partis forts avec des positions claires, des objectifs tracés et d’arriver à dépasser les batailles inutiles qui ressemblent plus à des querelles de chiffonniers qui mènent le pays à sa perte !
Malheureusement, la situation se dégrade chaque jour davantage. La corruption est bien installée. Le vers s’est introduit dans le système depuis bien longtemps. Il est extrêmement urgent d’arrêter sa propagation.
Ce que j’écris là est devenu redondant au point de lasser les gens ! D’où le désenchantement quasi généralisé. Tout le monde est conscient de l’extrême gravité de la situation, les solutions sont claires mais personne ne veut faire le premier pas. Bien au contraire, la liste des partis s’allonge chaque jour un peu plus. Le ministre de l’intérieur désigné par le président de la république reproduit la même façon de faire que ses prédécesseurs pour former son gouvernement. Autour de quel programme ? Autour de quoi ?
Entre temps des milliers de tunisiens fuient le pays au risque de leurs vies, à la recherche d’un semblant de bonheur…
Le Zenith.