Par Anis Basti
Diego Maradona a écrit l’une des plus belles pages de l’histoire du football moderne comme aucun autre footballeur ne l’avait fait avant lui. Les péripéties de sa carrière et l’immensité de son talent ont donné du grain à moudre aux journalistes du monde entier qui inondèrent les colonnes écrivirent des milliers et des milliers de pages sur le fantastique joueur et le sulfureux personnage qu’était El Pibe de Oro. Dans ce document, j’ai voulu me focaliser sur un seul angle de vue, celui où la star argentine s’est parée de ses plus beaux exploits et de ses plus belles réalisations, à savoir en coupe du monde 1986 au Mexique. Les pelouses verdoyantes des stades Aztec et Guadalajara ont été le théâtre d’une performance individuelle sans commune mesure dans l’histoire de ce sport. Le spectacle en vaut le détour pour le savourer sans jamais en être repu, même 32 ans plus tard. Immersion dans les exploits mexicains de Diego Armando Maradona, fils prodigue de la glorieuse équipe d’Argentine 1986.
Spectacle. La coupe du monde 1986 au Mexique était l’une des plus abouties au niveau technique.
Été 1986. J’avais à peine 11 ans, je commençais à épier l’univers des adultes, ses secrets, ses interdits pour un gamin dont le souvenir du lait maternel dégoulinant au travers de sa gorge est encore prégnant. Finies les interminables constructions de Lego et ses pièces au spectre des couleurs qui se font et défont au soufflement du sirocco qui sévit sous le ciel de Tunis en cette période de l’année où la chaleur est le moins qu’on puisse dire, torride. Mon sevrage s’accomplit de la plus belle des manières. Il n’y a pas mieux que les longues vacances estivales pour troquer ses jouets contre un confortable canapé en face du magique boîtier aux allures d’interface entre la monotonie de notre quotidien et les vicissitudes du monde qui nous entoure. En cet été, les yeux de la planète étaient rivés vers le Mexique, pays hôte du plus grand événement sportif du monde, qui tient en haleine des milliards d’âmes pendant environ un mois, à savoir la coupe du monde de football. Pour la précision, quelques milliards d’êtres humains, et… moi ! Je faisais mes premiers balbutiements dans ce sport qui s’est mué à la vitesse de l’éclair en business- spectacle où l’engouement des fans en valait son pesant en dollars. Les enjeux financiers devinrent colossaux. Les sponsors se ruaient vers les équipes et les stars pour espérer une plus grande visibilité et doper leurs ventes en bénéficiant de la notoriété et célébrité de ces nouvelles idoles des temps modernes.
Prouesse. Aucun footballeur n’avait marqué une phase finale de coupe du monde d’une empreinte individuelle que lui.
Le néophyte que j’étais, ignorait encore les à- côtés du sport roi et n’en a cure des spéculations des bookmakers sur les favoris et les outsiders de cette édition mexicaine du Mondial. Mes connaissances rudimentaires m’emmenaient à s’intéresser aux favoris classiques sur lesquels tous les profanes du football s’accordent, en l’occurrence le Brésil, référence mondiale du football spectacle, et la RFA, finaliste de la précédente édition, voire même l’Italie (tenante du titre) ou la France de Michel Platini. Mais au fur et à mesure que les matches s’enchainaient, l’on commençait à se rendre compte des rapports de force et à jauger les chances des uns et des autres à briguer la consécration suprême. Toutefois, et dès son entrée en lice dans la compétition, le 2 juin 1986 à Mexico contre la Corée du Sud, tout portait à croire qu’un joueur allait survoler les débats et éclabousser le monde entier par un talent hors du commun, comme le football n’en a plus connu depuis que le roi Pelé ait raccroché les crampons.
Diego Armando Maradona, le métronome de l’équipe d’Argentine, était persuadé que cette coupe du monde allait être incontestablement la sienne. Il était tellement au-dessus de tout le monde que rien ne lui résistait. Tout ce qu’il entreprenait sur le rectangle vert, lui réussissait à merveille. Talent précoce, déjà vainqueur de la coupe du monde des espoirs en 1979 et international argentin « A » depuis 1977, « El Pibe de Oro », surnom attribué à la star argentine originaire de Lanùs, disputait déjà sa deuxième phase finale de coupe du monde, après celle en Espagne, jalonnée par le célèbre épisode musclé avec le rugueux défenseur italien Claudio Gentile, qui a fait voir de toutes les couleurs au meneur de jeu argentin de 22 ans à l’époque. Quatre ans plus tard, et après deux transferts en grande pompe à Barcelone en 1982 puis à Naples en 1984, Maradona a gagné en maturité et franchi un nouveau cap en assumant pleinement son rôle de leader que ce soit en club ou en sélection. C’est un leader naturel sur le terrain tellement il était capable de porter sur ses épaules toute l’équipe. Ses coéquipiers s’en remettaient toujours à lui pour, soit débloquer le score, soit renverser l’issue d’un match aussi indécis fut-il. C’est aussi paradoxal que cela puisse paraître, Maradona est le contre-exemple du football dans son acception la plus triviale, à savoir de sport collectif et de jeu d’équipe. Il en est la subversion. Il a fait la part belle à l’individualisme comme aucun autre joueur avant lui ne l’avait fait, quand bien même les Pelé, Di Stefano ou autre Cruyff avaient magnifié leurs équipes par leur talent hors norme. Je vous livre quelques éléments de réponse. Tous ces joueurs légendaires étaient les joyaux de grandes équipes, leurs maîtres à jouer incontestables. Toutefois, ils faisaient partie de collectifs non moins exceptionnels. Pelé n’était pas la seule pépite de la glorieuse Seleçao des années 1957 à 1971, par ailleurs championne du monde à trois reprises (1958, 1962 et 1970). Il était flanqué de Garrincha, Carlos Alberto, Tostao et Gerson. D’illustres figures du football mondial. Cruyff était, quant à lui, le guide technique de l’Ajax Amsterdam et de la mythique équipe des Pays-Bas, apôtres du football total, une révolution au vrai sens du terme en son temps. Maradona n’était pas dans ce même cas de figure, du moins avec l’Argentine en coupe du monde 1986, où la sélection Albicelecte coachée par Carlos Bilardo ne comptait aucune véritable star de dimension internationale, ni se distinguait par un style de jeu typique, faisant prévaloir le collectif. Maradona était le seul rayon de soleil de cette équipe d’Argentine. Les Brown, Batista ou Ruggieri étaient loin d’être des idoles. Ils passaient pour les derniers de la classe dans cet exercice. Seuls peut- être Valdano, et à un degré moindre Burruchaga, pouvaient se mesurer au niveau mondial. On a coutume de dire que les stars ont souvent une équipe derrière eux qui joue pour eux, et des coéquipiers, éminemment altruistes, qui vont au charbon et s’adonnent volontiers à la sale besogne pour les mettre dans les meilleures conditions pour s’illustrer et faire la différence au moment opportun. Une espèce de sacrifice et de servitude à l’égard de sa majesté. Encore faut-il les en avoir. L’Argentine de 1986 ne s’apparentait pas à cette configuration. Elle donnait l’impression d’un désert aride, et comme pour seule éclaircie, Maradona. Il était le seul à faire la pluie et le beau temps de cette équipe. Ses fulgurances et ses chevauchées magistrales balle au pied, à l’instar de son but somptueux en quart de finale contre l’Angleterre, laissent pantois même ses plus farouches détracteurs. Il avait cette faculté extraordinaire à joindre promptement l’intention du geste à l’action. Lui subtiliser le ballon en plein mouvement relève tout simplement de la gageure. Les défenseurs anglais et belges peuvent en témoigner de l’humiliation que leur avait infligé Diego, respectivement en quart et en demi-finales.
À SUIVRE…