Par Anis Basti
On ne compte plus les châtiments que la Révolution de 2010-2011 a infligés aux tunisiens et qui vont en augmentant à l’aune de la dégradation des conditions de vie et l’érosion du pouvoir d’achat. S’il est un seul coupable qui cristallise le désenchantement et vers lequel se pointent les doigts accusateurs, c’est bien les turpitudes des politiciens de tout acabit.
On ne va pas trop spéculer dans ce texte sur les sources de ce mal qui éclata un 17 décembre 2010 à la suite d’une prise de bec entre un agent municipal qui ne voulait, dans une tentative désespérée, qu’appliquer une loi de façade et un marchand ambulant aux activités manifestement délictueuses que la précarité endémique a rendues tolérées.
D’aucuns jettent l’anathème sur un régime politique bâtard consacré par la meilleure constitution du monde (sic M. Ben Jâafar, président de l’ANC, 2011-2014). Un régime qui a délesté la fonction de président de la République de toute sa substance et transféré le centre du pouvoir à l’Assemblée qui fait la pluie et le beau temps sur une scène politique en proie aux conciliabules et collusions pratiqués par des acteurs politiques peu scrupuleux. En somme, c’est un régime parlementaire qui ne dit pas son nom. Au-delà de son rôle législatif, l’ARP s’adjuge de deux autres prérogatives dans lesquelles elle puise l’essentiel de son pouvoir pour subordonner le gouvernement quelle que soit sa couleur.
« Vote de confiance » et « motion de censure » sont les deux épées de Damoclès que tient en main une coalition majoritaire contre nature de laquelle émanent des relents d’intérêts partisans et affairistes.
La Tunisie peut aujourd’hui rivaliser avec les pays du club très fermé de ceux qui changent de gouvernement comme de chemise. Un sinistre record jamais atteint dans l’histoire contemporaine de la Tunisie qui est à lui seul symptomatique de la décrépitude programmée des institutions et par ricochet de tout le système de gouvernance. Dans un régime dictatorial ou plutôt autoritaire – question de mettre de l’eau dans son vin afin d’éluder les amalgames sémantiques – les règles et les codes sont circonscris et consentis par la masse à son corps défendant ; en revanche, dans l’actuel système, les normes sont parties en vrille pour laisser place au règne de l’anomie qui conduit à la dégradation inexorable de l’ordre sociétal et ouvre grand les portes aux dérives hasardeuses. Le deuxième épisode du Covid-19 vient accabler davantage une population au bout du rouleau et l’enliser dans son désarroi à cause d’une gestion aussi timorée que calamiteuse de la part des autorités dont l’abdication face aux ravages de ce virus se confine à l’indicible. Mais comme si cela ne suffisait pas à nos déboires, la deuxième vague du Covid-19 qui est venue frapper de plein fouet un pays qui porte encore les stigmates du premier épisode, a coïncidé avec la reprise des travaux de l’ARP qui sont tout aussi pénibles à se coltiner au regard de la dépravation de la fonction de député où les rixes et passes d’armes à foison laissent le plus commun des quidams pantois. Des députés soucieux de la santé de leurs compatriotes et conscients du poids de la responsabilité qui leur incombe, ne sauraient se permettre le luxe d’attendre que la trêve estivale parlementaire arrive à son terme pour prendre leur bâton de pèlerin et se porter au chevet des malades non pas pour leur prodiguer des soins mais en usant de leurs larges prérogatives pour mettre la pression sur l’action gouvernementale jusqu’ici caractérisée par sa pusillanimité et son manque de coordination.
Pis, cette Assemblée n’a pas daigné ménager notre sensibilité d’écorché vif déjà mise à rude épreuve par ce maudit virus. Au contraire, elle ne fait que remuer le couteau dans la plaie en nous gratifiant d’un énième et crapuleux spectacle avec toujours les mêmes protagonistes qui ne s’embarrassent guère de dégainer à tue-tête les invectives et propos injurieux les plus vils confortant du coup les citoyens dans leur conviction que l’hémicycle du Bardo n’est qu’un défouloir où l’on se permet de lui infliger toutes sortes de profanations au mépris de la confiance des électeurs et du serment qu’ils avaient prêté devant le peuple. L’inanité de cette Assemblée n’a d’égal que la désaffection de la vox populi proclamée à travers des débauches de Bashing plus véhémentes les unes que les autres. Encore plus consternant que les incartades de ces belliqueux députés, de surcroit filmées et devenues virales sur les réseaux sociaux, c’est l’apathie des autorités juridiques compétentes qui ne bougent pas le petit doigt face à ces atteintes caractérisées et multiples délits commis au vu et au su de tout le monde. Si le centre du pouvoir est transformé en pugilat où l’on profère, sans retenue, toutes sortes d’outrages, pourquoi s’étonne-t-on alors de voir autant d’incivilités dans notre société ?