Par Anis Basti
Les coups de filet et traques sans relâche dans les milieux radicaux ne semblent pas refroidir l’ardeur des terroristes à commettre des attentats de plus en plus insolites et atroces. Le meurtre par décapitation du professeur français, le vendredi dernier par un assaillant tchétchène de 18 ans est aussi sordide que le motif du crime.
En effet, la condamnation de cet enseignant d’histoire-géographie du département des Yvelines en région Île-de-France fut actée par les tribunaux autoproclamés d’Allah à la suite de l’exhibition de ce dernier de caricatures montrant le Prophète de l’islam en position indécente alors qu’il dispensait un cours portant sur la liberté d’expression dans l’école publique de la République française laïque en vertu de la loi de 1905. Le retentissement de cet horrible crime qui a mis toute la France en émoi, a instamment gagné la nébuleuse des réseaux sociaux en Tunisie qui se sont enflammés au rythme des salves de propos alternant condamnation, justification à peine voilée et apologie. Ces trois positions sont symptomatiques du rapport du tunisien avec le terrorisme islamiste. En effet, à chaque fois qu’un crime du genre est perpétré sous nos cieux ou à l’étranger, ces trois catégories refont surface en se livrant au même radotage sclérosé. L’opinion lucide et perspicace, affranchie de l’esprit dogmatique et des sentiments communautaristes est condamnée à l’errance à la faveur de la pensée obtuse et canonique.
Entre les adeptes du nihilisme idéologique qui jugent la doxa rigoriste comme seul coupable, les irréductibles chantres de la théorie de l’innocence de l’Islam par rapport à toute velléité belliqueuse, par ailleurs majoritaires, et les apologistes éhontés, partisans de la glorification des terroristes, la société tunisienne se trouve engluée dans le marécage de l’impertinence et les plaidoiries bigrement sottes. Cette onde de choc qui a mis toute la planète en ébullition, est révélatrice du caractère transnational de ce fléau et de l’état de frayeur partagé par toute la communauté internationale. En l’espèce, la lutte doit s’opérer d’une manière commune et concertée à partir du moment où ces groupuscules n’en ont cure des frontières et des nationalités. Une fois leur ralliement à l’organisation terroriste acté, ces escadrons de la mort, partis combattre en dehors de leurs frontières, se prêtent à la destruction de leurs passeports en signe de déni de leur patrie mère et d’allégeance à leur tuteur qui cumule les deux épithètes de prédicateur et commandant. Ces scélérats tartuffes sont mus par le fantasme de l’instauration de la Umma à la manière des premières conquêtes islamiques et se portent volontiers en chair à canon au service de puissances occultes aux desseins machiavéliques.
Toutefois, cette inclination à l’intégrisme religieux se manifeste sous moultes formes et suit une organisation transverse où chaque acteur joue pleinement son rôle depuis l’endoctrinement jusqu’à l’embrigadement et le passage à l’acte. Cette entreprise mortifère ne peut se mettre en selle sans qu’il y ait une force panoptique qui tire les ficelles dans le but de bouleverser les équilibres géopolitiques régionaux et redistribuer les cartes des enjeux économiques au mépris des vies humaines et de la dévastation de territoires en entier.
Les révolutions arabes, bien qu’adossées à des valeurs de liberté, de dignité et d’égalité sociale, lesquelles scandées à cor et à cri par des milliers de manifestants de tous bords, ont donné voix au chapitre aux extrémistes religieux et conforté leur posture de prédilection, en l’occurrence de victimes des régimes impies. Ce faisant, ces hordes d’intégristes ont investi tous les domaines d’activité jusqu’à dans les sphères du pouvoir comme pour prendre une revanche sur l’histoire et s’accorder une légitimité d’action quand bien même malveillante. Ils ont fait de l’entrisme et de l’infiltration les pilastres de leur stratégie de conquête des institutions pour mettre au pas les fonctions régaliennes de l’Etat, à savoir la justice et la sécurité. Pour ce faire, ils peuvent compter sur des hordes de volontaires, épris de bigotisme, prêts à dégainer invectives et outrages contre toute voix qui s’oppose à leur projet rétrograde et obscurantiste.
Le scrutin législatif de 2019 a accouché d’une poignée de députés de cet acabit qui ne sortent de leur tanière que pour prendre la défense de quelconque manière des terroristes en s’échinant à justifier leurs abominables actes et en accusant les services de renseignements étrangers de fomenter des attentats sous fausse bannière. Le dernier écart en date, les déclarations d’un député de la Coalition el-Karama, via un statut sur Facebook, dans lequel il a eu le toupet de justifier, de la plus grotesque des manières, le lâche assassinat de l’enseignant français, Samuel Paty, en arguant que « Porter atteinte au prophète est l’un des plus grands crimes et celui qui l’ose doit assumer ses conséquences, qu’il soit Etat, individu ou groupe ». Cette déclaration, venant de surcroit d’un élu du peuple, fait office d’un mot d’ordre à l’adresse des cellules dormantes pour emboiter le pas au terroriste tchétchène, érigé tacitement en héros, à chaque fois que quiconque ose porter atteinte à la figure du Prophète de l’Islam quel que soit le style adopté – humour, satire ou simple critique. Le plus consternant dans cette affaire c’est le nombre de réactions de soutien qu’a suscité ce scabreux statut auprès d’une large frange de la société, majoritairement jeune, partageant les mêmes rancœurs francophobes et identitaires. Leurs congénères français d’origine maghrébine ne sont pas en reste par rapport à cette bigoterie fielleuse. Les commentaires tout autant élogieux envers le terroriste tchétchène sur les médias électroniques français à la publication du portrait de ce dernier, dénotent de la prééminence de la doctrine sur la culture et l’appartenance territoriale.
Ceci étant, il ne faut pas que l’antithèse représentée par l’esprit de concorde nationale contre le terrorisme ne tombe dans les amalgames faciles et les raccourcis au premier degré en jetant l’opprobre sur toute une communauté et apporter, par voie de conséquence, de l’eau au moulin des terroristes.