Par Anis Basti
Chassez le naturel, il revient au galop. La Constitution de 2014, par ailleurs célébrée avec fanfare et ayant suscité l’admiration du monde entier a, en théorie, scellé le débat de l’identité et énoncé les principes qui régissent le contrat social entre les citoyens. Les sujets brûlants qui avaient semé la zizanie et occasionné un brouhaha tenant tout un pays en haleine en période de convulsion post-révolutionnaire, n’ont plus lieu d’être ni de refaire à nouveau surface à la faveur d’un compromis acté un 27 janvier 2014 au sein d’un hémicycle en liesse, épris de vantardise et de vanité. Sept années plus tard, ou presque, un député de la deuxième législature consécutive à la promulgation de « la meilleure constitution du monde », (sic Mustapha Ben Jaâfar, président de l’ANC, 2011-2014), profère une de ses cochonneries qui marquent l’eccéité de la Coalition à laquelle il appartient. Ce député qui se vante de la piété dont les interventions sont toujours marquées du sceau du sacré et de la parole divine, n’a-t-il pas profané sa propre prestation de serment le jour de son investiture à l’ARP lorsqu’il a juré sur le Coran, non sans fard de dévotion sur le visage, qu’il appliquerait au pied de la lettre la Constitution et qu’il resterait fidèle à ses dispositions ? Ce tartuffe de député semble plus croire à l’adage stipulant que pour arriver à ses fins, mentir est permis, qu’aux textes canoniques qu’il prétend sacraliser.
Les questions y afférent au statut de la femme dans la société et au périmètre de sa liberté n’ont, de toute évidence, pas été résolues ni par une Constitution votée à l’unanimité ni dans le cadre d’un vrai débat public et social qui abhorre les compromis et calculs intéressés sur fond de positionnement politique. En effet, cet énième et piteux flash-back du député de la Coalition al-Karama qui vient sciemment réveiller les vieux démons de la discorde et du clivage idéologique, n’est que la manifestation d’un malaise endémique qui sévit au sein d’un pan entier de la société en butte aux obscurantismes de tous genres.
Ces renégats de la République, de la Constitution et de la démocratie, prônent une vision rétrograde, totalitaire et dogmatique de la société et des rapports humains régis par des lois immuables et anachroniques fondées sur le principe de la suprématie du genre, de la confession et de l’ethnie. Cela est malheureusement consacré aussi bien dans le préambule que dans les premiers articles d’une Constitution qui adopte l’idée de la prévalence dégressive des articles quand bien même les principes de l’égalité et de la liberté de conscience sont clairement énoncés postérieurement dans les articles 6, 21, 34, 40 et 46. L’échec du projet de loi sur l’égalité successorale adopté et arboré par le défunt président de la République, Béji Caïd Essebsi, et tué dans l’œuf avant même d’être débattu à l’hémicycle lors de la précédente législature, est la preuve tangible de la sensibilité du sujet qui est mis, à chaque fois, au rebut par la bien-pensance au nom de la sacralité des textes religieux et de la menace sur la paix sociale que cela suppose occasionner. La lancinante problématique identitaire et religieuse est l’arme de prédilection des courants intégristes et radicaux, substantiellement représentés au sein de l’ARP sous différents oripeaux. Elle fait irruption dès lors que l’étau se resserre politiquement sur l’entrelac du pouvoir dont les islamistes en sont la figure de proue. La grave crise économique qui semble inextricable au regard du système de gouvernance actuel, pousse les dépositaires de ce régime à faire usage de ce cheval de Troie pour se tirer subrepticement d’embarras et faire diversion aux vraies problématiques du citoyen qui rendent son quotidien un véritable chemin de croix. L’immixtion des questions de mœurs dans les affaires politiques n’est pas innocente dans la mesure où elle constitue un raccourci perfide et un moyen fourbe pour abuser des sentiments religieux débordants et très prégnants chez les sociétés ultraconservatrices. C’est la bouée de sauvetage qui vient au secours de ces félons à chaque fois qu’ils sont frappés du discrédit de leur incompétence et inaptitude à gérer les affaires publiques et de l’Etat.
C’est ce genre de propos, qui plus est, émanant d’un député du peuple, qui constitue le terreau du fondamentalisme et nourrit les velléités intégristes pour servir sur un plateau d’argent les desseins machiavéliques des organisations et filières terroristes toujours avides de main d’œuvre bigotement embrigadée et servant de chair à canon. A leur insu ou par inadvertance, les porte-voix de cette pensée accordent une légitimité d’existence à ce rigorisme en décomplexant le débat autour et en levant l’épithète malsonnante qui, généralement, accompagne les actions crapuleuses de ce genre commises par les fils légitimes de ce courant de pensée mortifère. Les conséquences fâcheuses de ces propos sur l’esprit de cohésion nationale et sur la fragile stabilité sociale qui bat de l’aile depuis l’invitation de la très délicate et sensible question confessionnelle au débat politique, n’ont d’équivalent que la couardise et l’ineptie de leurs locuteurs, catapultés pour le coup dans des fonctions régaliennes et érigés au rang de dignitaires à la faveur du clientélisme et de la corruption des bourses et des esprits qui ont prévalu lors de toutes les précédentes échéances électorales. La femme est le subterfuge par excellence qui retient l’attention des masses à la sexualité refoulée que la moindre évocation de la féminité provoque leurs instincts grégaires et réveille leur libido toujours à l’abordage, prête à dégainer à tout instant. Dans les sociétés imprégnées du fondamentalisme religieux, on a coutume de tenir la femme pour responsable de tous les vices et perversions qui peuvent affecter le modèle social adossé à une morale puritaine et univoque qui ne s’accommode point de l’altérité, y compris celle la plus naturelle, en l’occurrence du genre. L’assujettissement et la chosification de la femme sont les deux fondamentaux sur lesquels repose le modèle sociétal tel que défini et établi par les conformistes de la pensée unique et totalitaire. Les dépositaires de ce modèle sont conscients qu’ils ne peuvent exister et perdurer que dans l’adversité, l’antagonisme et la haine. Pour ce faire, ils ne peuvent se départir des sujets clivants qui sèment la discorde et attisent l’embrouille pour s’infiltrer sournoisement dans les crevasses du schisme idéologique et y déverser leur venin jusqu’à ce que la dislocation du tissu social s’en suive. Plus la faille sociale est béante, plus ils ensemencent les divisions et se font pousser des racines pour s’agripper, autant que faire se peut, dans le giron du pouvoir.
Les mœurs, le libertinage et la luxure sont les sujets boutefeux susceptibles de mettre le feu aux poudres et provoquer l’ire d’une société intransigeante avec la chasteté et la candeur de la femme et indulgente et tolérante face aux turpitudes et incartades quand celles-ci se conjuguent au masculin. Le très controversé et à la fois effronté député de la coalition al-Karama s’est autant fait de détracteurs que d’admirateurs. L’assurance avec laquelle il a déballé sa misogynie et la manière affectée et éhontée qui a caractérisé son épouvantable et infâme intervention sont symptomatiques de la présence d’un soubassement de courant de pensée similaire, de surcroit partagé par une large frange de la société qui n’attend que ce genre d’outrage verbal à l’encontre des femmes émancipées pour assouvir ses pulsions et flatter son ego et ses complexes. Encore plus consternant que ce discours d’une obscénité déconcertante, l’agitation que cela a pu engendrer mais qui s’est très vite réduite comme une peau de chagrin nonobstant les multiples condamnations de la société civile et d’une poignée de partis politiques visiblement plus préoccupés par se tailler un lambeau de ce qui reste du pouvoir que par la situation de la femme et l’atteinte à son honneur. Cet écart n’est que l’épisode de trop d’une longue série depuis que les langues se sont déliées et que les scélérats ont eu voix au chapitre en vertu de la Révolution de la dignité. La récurrence de ces impudences a fini par avoir le citoyen à l’usure qui devient de plus en plus blasé, lessivé et éreinté, à telle enseigne que l’acception de la normalité s’est carrément inversée. La bienséance est devenue une denrée rare qui se fait désormais désirer.