jeudi 21 novembre 2024
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RÉPUBLIQUE FRANKENSTEIN

Par Anis Basti

L’art de plaire est l’art de tromper. » disait De Vauvenargues, moraliste et écrivain français au mitan du XVIII ème siècle. Les politiciens de tous bords qui ont déferlé sur la scène depuis que la politique a damé le pion au football comme nouveau sport national, semblent faire de cette maxime une devise de gouvernance. C’est l’essence même de la démocratie et du libre arbitre dans le choix de ses représentants et gouvernants qui sont galvaudés et vidés de leur substance.

Une démocratie est par définition quand un peuple prend son destin en main en mandatant ses représentants des fonctions législatives et exécutives. Mais l’histoire et les expériences nous ont enseignés qu’une démocratie ne s’improvise pas. Elle ne peut en aucun cas être providentielle ni le fruit d’une offrande d’une quelconque régence quand bien même éprise de mansuétude et d’altruisme à l’égard de ses citoyens. Elle est en revanche, l’immanence d’un peuple et l’expression d’une volonté ardente qui ne se dément pas et que ni les sommations des autorités ni les mises en garde les plus véhémentes n’arrivent à calmer les ardeurs. En l’espèce, la question déterminante qui s’impose à l’esprit et qui embraye le débat sur l’universalité et l’immuabilité des préceptes de ce mode de gouvernance, participatif ou représentatif soit-il, est quels sont les vrais ressorts et les réels catalyseurs ayant nourri la subversion contre le régime en place pour consacrer la volonté du peuple ? La Révolution tunisienne, chèrement payée en vies humaines et privation des libertés les plus fondamentales, présente la singularité de la spontanéité et de l’improvisation.

Elle ne fut guidée ni conduite par aucun courant de pensée ni attelage idéologique. Elle ne s’était pas créée de leadership qu’il eût porté une figure aux nues comme ce fut le cas après l’indépendance avec l’accession de Bourguiba à la tête du pays à la faveur d’une légitimité militante qui s’est traduite en plébiscite populaire. L’absence d’un guide ou d’un mentor, conjuguée à la déchéance du satrape qui régna sans partage sur la Tunisie, a laissé le pays en friche, livré à toutes sortes de convoitises et en proie à un nouveau genre de prédation affublé de nouveaux accoutrements. Le clientélisme, les coteries et le copinage ont fait fureur à l’occasion de toutes les échéances électorales qu’a connues le pays depuis les élections du 23 octobre 2011. Toujours dans le même sillage, les passe-droits par rapport au financement occulte et équivoque des partis politiques attesté par les dépenses somptuaires et fanfaronnades à foison dans des meetings en grande pompe et dans des campagnes publicitaires en soudoyant des organes de média et en diligentant des actions de lobbying par le truchement d’agences étrangères payées en devise sonnante trébuchante, ont biaisé toute l’opération électorale et perverti du coup la volonté des citoyens telle que exprimée dans les urnes. Même dans l’acception la plus légaliste du process, le régime politique adopté et traduit par un mode de scrutin proportionnel plurinominal a, jusqu’ici, démontré ses limites et contribué au morcellement d’une scène politique à la solde des partis, livrant le pays aux conciliabules et collusions de tout acabit.

Le résultat est sans appel. La myriade de dirigeants qui ont tenu les rênes du pouvoir sur la dernière décade, s’est vue infliger un camouflet retentissant eu égard à la décrépitude généralisée qui règne sur un pays en butte aux dissensions et chamailleries les plus puériles. En dresser un inventaire exhaustif de toutes ces péripéties, relève tout simplement de la gageure. Dans ce jeu où les dés sont pipés, l’exercice démocratique dévolu aux Tunisiens, s’apparente à une parodie de surcroit mal interprétée ou à un Vaudeville en excès d’intrigue. L’intégrité, la probité et la convenance ont cédé du terrain face à la félonie, la malice et l’artifice. L’accessit politique en Tunisie a désormais ses règles. Il suffit d’être un prestidigitateur du verbe et un mystificateur de la parole pour gagner ses éperons dans ce capharnaüm qui ne dit pas son nom. Tout devient du coup fallacieux, dévoyé et chimérique.

L’imposture est érigée en devise à laquelle les dépositaires du système s’adonnent à l’envi et les apparatchiks des partis en font ses choux gras. Toutefois, si ces imposteurs ont pignon sur rue, c’est que les clients ne manquent pas à l’appel et sont toujours friands de laïus et discours pompeux. L’électeur est avant tout un humain dont la psychologie et la sociologie sont déterminées par l’atavisme historique, culturel et éducatif qui fait la singularité d’un peuple et met en musique la pratique de l’exercice politique et la morale qui le régit. Le Tunisien est de nature un être très émotif dont la sensibilité est à fleur de peau. Il ne s’accommode point de la critique, soft ou acerbe soit-elle. Si tu flattes son orgueil démesuré et tu caresses son ego surdimensionné, il montre des dispositions phénoménales à lâcher du lest. S’emparer de son âme et de sa confiance devient une sinécure. Fourbes comme ils sont, les politiciens se sont parfaitement accommodés de cette caractéristique en s’adressant à la charge émotionnelle du citoyen pour stimuler les sentiments religieux, communautaires et tribaux qui constituent des raccourcis on ne peut plus faciles pour s’emparer d’une miette du pouvoir. Ce faisant, le populisme est devenu la recette miracle pour cristalliser l’attention des électeurs et réunir toutes les chances de son côté dans le but de garantir un bon score aux élections. Bien que les incivilités, les travers et les imperfections sévissent dans chaque coin de rue et intoxiquent la vie sociale et le quotidien du citoyen, les professionnels de la politique préfèrent caresser les contrevenants, les goujats et les truands dans le sens du poil dans l’espoir de butiner une voix de plus. À une toute autre époque, Bourguiba, grand artisan de l’indépendance et bâtisseur de la République, ne s’embarrassait guère de pointer du doigt, dans des discours emblématiques, émaillés de paroles culte, les tares de la société en assumant pleinement son rôle de leader de la nation. Une posture qui s’est avérée salutaire au regard des avancées notables que le pays avait connues dans tous les domaines et dont nous tirons aujourd’hui encore les dividendes. On ne peut pas construire un pacte social qui a vocation à fédérer l’intégralité des composantes de la société et à créer un esprit de concorde nationale dans la foulée de l’agitation postrévolutionnaire sur des compromis et des coteries au détriment d’un socle de valeurs communes et universelles pour ponctuer une vraie rupture par rapport à l’esprit qui régnait auparavant et qui se manifestait dans l’ancienne Constitution et l’arsenal juridique qui en découlait.

La toute nouvelle, celle qui est supposée empreindre les revendications vertueuses de la Révolution et traduire les aspirations du peuple dans toutes sa diversité et ses variantes, reflète ostentatoirement l’esprit tortueux et les calculs intéressés avec lesquels elle fut rédigée et célébrée en grande pompe non sans triomphalisme et vanité. Certains articles de la Constitution de 2014 ayant trait aux libertés de conscience et au statut de la femme dans la société, font montre d’un antagonisme criard et de contradictions patentes, consacrant pour le coup la bipolarité et le schisme qui triomphaient sur le débat politique. À force de vouloir satisfaire les belligérants en se pliant à leur desiderata, les rédacteurs de la nouvelle Constitution ont jeté de l’huile sur le feu et signé l’acte de perpétuité de l’hypocrisie des préceptes du droit positif et de la poltronnerie des nouveaux souverains.

Mais les déboires ne prennent pas fin une fois les élections terminées. En effet, dans la foulée de celles-ci, un second round de manœuvres frauduleuses démarre sur les chapeaux de roues. Les heureux élus se livrent à un marathon de conciliabules et menées secrètes pour créer des coalitions non pas sur la base d’un dénominateur commun de valeurs et de points de recoupements des programmes électoraux, mais sur des intérêts partisans pour jouir des avantages du pouvoir et endiguer d’éventuelles poursuites judiciaires à la faveur d’une immunité parlementaire de plus en plus contestée. Les coalitions se font et se défont au gré des vicissitudes et rebondissements à tire larigot. L’ennemi d’hier devient l’ami d’aujourd’hui et inversement. Une véritable hérésie s’est emparée des centres du pouvoir plongeant le pays dans la spirale infernale du désordre et de l’instabilité. À chaque fois qu’ils sont dos au mur, les artisans de la débâcle se rabattent sur leur échappatoire de prédilection, à savoir les poncifs de consensus et dialogue national pour chercher désespérément un semblant d’accalmie et continuer à fourvoyer l’opinion publique par rapport aux visées égocentriques et sournoises qui n’en ont cure de l’intérêt général. La deuxième République s’est avérée une abstraction fugace et illusoire qui est passée, hâtivement, de vie à trépas en nous laissant sur notre faim. Les expérimentations pour lui redonner vie sur les décombres du passéisme et de la nostalgie sont aussi vaines que délétères. Recoller des morceaux à partir de systèmes et doctrines inertes et désuètes relève de l’anachronisme. Mais quand la mauvaise foi, l’incompétence et l’incurie s’invitent au débat au détriment de l’intégrité, l’éthique et les valeurs, la créature que les laborantins nous ont bricolée, s’est transformée en monstre de Frankenstein qui finira par entraîner chaos et dévastation sur son passage.

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