Par Anis Basti
Qu’on se le dise sans ambages. La pondération et la modération n’ont jamais été les traits distinctifs des Tunisiens. On a longtemps développé cette fâcheuse tendance d’être dans les excès, de flirter avec les extrêmes. On a toujours peiné à garder l’aplomb digne des peuples circonspects qui font prévaloir la raison aux dépens du mystique, de l’irrationnel et du subjectif. D’aucuns se prêtent aux explications ethnologiques et sociologiques qui marquent l’eccéité des peuples du sud du pourtour méditerranéen à l’émotion débordante et à la sensibilité d’écorchés vifs.
D’autres se font plus pragmatiques, et imputent cette inclination aux différents régimes qui se sont succédé aussi bien en période pré que post-coloniale. Ces régimes avaient congédié le mode féodal et tribal qui régnait à l’époque astreignant les autochtones – Amazighs -, occupant majoritairement le sud tunisien, à cohabiter avec les vagues de colons venant du Nord et d’Orient.
L’avènement du pouvoir central qui connut son apogée vers la fin du XVIème siècle sous le règne de l’Empire Ottoman, imposa son autorité sur l’ensemble du territoire en instaurant une administration et mit, du coup, sous sa férule les différentes ethnies et groupes qui composaient autrefois la société. L’exaltation suscitée par le mouvement d’indépendance au mitan du XXème siècle dont Bourguiba était la figure de proue, avait rétabli, un tant soit peu, la confiance du peuple en ses dirigeants et crée cette concorde nationale autour de son leader dont la légitimité était incontestable sauf de la part de certains mouvements attribués au nationalisme arabe qui cartonnait en Orient avec l’exacerbation du conflit avec Israël. On pourrait parler d’une sorte de réconciliation du citoyen avec les institutions de l’Etat par ce qu’il s’était tout bonnement inscrit, à corps perdu, dans un élan de construction et de fondation d’un Etat moderne qui avait fait du citoyen sa raison d’être. La fibre patriotique que Bourguiba avait ravivé chez les Tunisiens de tous bords, adossée à des orientations politiques vertueuses et avant-gardistes, avait permis à la Tunisie de se prévaloir d’innombrables acquis et de devenir le modèle de référence dans son voisinage. Toutefois, cette belle épopée fut bridée par les velléités hégémoniques de Bourguiba et de sa cour, vers le début des années 70, qui ne s’accommodaient guère de l’amorçage du processus de démocratisation du pays en faisant feu de tout bois pour consacrer le règne ad vitam et sans partage d’un président à la lisière de la sénilité en l’inscrivant, non sans effronterie, dans la Constitution. Dès lors, la relation entre le citoyen et l’Etat s’est étiolée et le capital confiance qui s’était construit sur les sacrifices et les durs labeurs de vaillants et intègres femmes et hommes, est parti en fumée pour ne plus renaître de ses cendres quand bien même, au passage, une Révolution dite de la dignité et de la liberté s’est produite. Le semblant de stabilité politique qu’a apporté le renversement de Bourguiba, alors grabataire, par son Premier ministre, Zine el-Abidine Ben Ali, à peine un mois après sa nomination, n’a pas arrangé les choses. En effet, le Général-Président n’a pas tardé à dévoiler ses réelles intentions qui allaient dans le droit fil de son prédécesseur en ourdissant un simulacre d’élections législatives – en 1989 – qui avaient abouti à une majorité écrasante du parti du président, en l’occurrence le dissout RCD. La tentation hégémonique et totalitaire a fini par avoir raison des promesses de rupture avec les erreurs du passé et des espoirs de communion entre le peuple et ses gouvernants, arborés au lendemain du discours rassembleur et fédérateur du 7 novembre.
L’expérience a vite déchanté laissant place à la soumission et la démission de la vie politique force dispositif de répression et de surveillance à tout bout de champ. S’essayer à la politique hors du carcan du parti au pouvoir, s’élève au rang de sacrilège. S’opposer au régime, critiquer ses passe-droits et dénoncer le népotisme du clan du président sont répréhensibles des peines les plus lourdes à coup de procès montés de toutes pièces. La machine infernale de propagande qui fut déployée et le verrouillage musclé et intraitable des médias et des méandres de la société, ont fini par annihiler les derniers espoirs de passation pacifique et démocratique du pouvoir et sceller définitivement l’engagement du citoyen dans la vie politique. Et soudain surgissait la Révolution de nulle part, emportant dans le tourbillon de la sédition les tentations despotiques et autoritaires et enfonçant les portes de la pratique politique à tout un chacun. La pluralité partisane est passée, en l’espace de quelques jours, d’un vœu pieux que l’on croyait enterrer à jamais, à une réalité assumée faisant du plus commun des quidams, un potentiel candidat aux fonctions régaliennes. Décidément, on aura vu de toutes les couleurs. Des centaines de partis ont vu le jour, d’autres ont payé un lourd tribut de leur connivence avec le régime déchu, une poignée a fait des révisions de façade.
L’exclusion, le monopartisme et l’allégeance ont laissé place à la diversité, l’inclusion et la liberté d’opposition. Cependant, ces acquis d’apparence vertueux, ont été galvaudés et pervertis par une engeance de parvenus qui se sont abattus sur les institutions de l’Etat et les centres du pouvoir comme des charognards affamés sur leur proie. La taxinomie du genre politique Tunisien ne tarit pas de spécimen. On aura vu défiler le tartuffe, l’opportuniste, l’ignare, le félon, le zinzin, le truand, l’imposteur, le couard, le vénal. Et la liste ne s’arrête pas là. Le recrutement et la cooptation des candidats au sein des listes électorales, partisanes ou indépendantes soient-elles, ne se font malheureusement pas sur la base de la compétence, de l’intégrité et de la convergence des valeurs et visions politiques, mais plutôt sur l’allégeance, la convoitise et le copinage. Les débats au sein de l’hémicycle ont donné du grain à moudre aux producteurs de bêtisiers.
Les adeptes du sensationnel et du trash TV en ont trouvé leur précieux Graal pour assouvir leur bellicisme refoulé et se délecter d’entendre les salves d’injures et d’invectives auxquelles se livrent, sans répit ni scrupule, les députés du peuple. Mais comme un malheur ne vient jamais seul, nos déboires ne s’arrêtent pas aux échéances législatives et municipales établies sur un scrutin proportionnel plurinominal, elles se prolongent aux présidentielles à deux tours qui ne manquent pas elles aussi d’extravagance et de facétie au regard de certaines candidatures qui frisent le genre caricatural. Bien que le régime politique stipulé par la Constitution – parlementaire mixte – suscite encore beaucoup d’ambiguïté par rapport à sa juste qualification, il n’en demeure pas moins que l’imaginaire collectif du Tunisien est encore empreint de l’omnipotence de la fonction de président de la République que les strates d’un demi-siècle d’absolutisme ont préservé la teneur. Les profanes en politique se bousculaient au portillon de Carthage, occasionnant du coup un show qui oscille entre le risible et le déplorable. L’expérience, le charisme et le militantisme se sont réduits en un simple dossier de candidature comme pour postuler à un poste d’emploi. Cet avilissement volontaire et délibéré de la plus haute fonction de l’Etat a bigrement contribué à la déliquescence de l’autorité et la dislocation des institutions car, en plus de ce régime biscornu qui a charcuté les sphères du pouvoir et délesté la présidence de la République de sa substance, ses tenants et ses gouvernants témoignent d’un amateurisme et d’une incompétence sans commune mesure. En l’espèce, certains candidats infatués, à l’outrecuidance démesurée, sont miraculeusement passés de l’anonymat total aux manchettes des quotidiens et hebdomadaires de la place en un tournemain.
Les adeptes du sensationnel et du trash TV en ont trouvé leur précieux Graal pour assouvir leur bellicisme refoulé et se délecter d’entendre les salves d’injures et d’invectives auxquelles se livrent, sans répit ni scrupule, les députés du peuple. Mais comme un malheur ne vient jamais seul, nos déboires ne s’arrêtent pas aux échéances législatives et municipales établies sur un scrutin proportionnel plurinominal, elles se prolongent aux présidentielles à deux tours qui ne manquent pas elles aussi d’extravagance et de facétie au regard de certaines candidatures qui frisent le genre caricatural. Bien que le régime politique stipulé par la Constitution – parlementaire mixte – suscite encore beaucoup d’ambiguïté par rapport à sa juste qualification, il n’en demeure pas moins que l’imaginaire collectif du Tunisien est encore empreint de l’omnipotence de la fonction de président de la République que les strates d’un demi-siècle d’absolutisme ont préservé la teneur. Les profanes en politique se bousculaient au portillon de Carthage, occasionnant du coup un show qui oscille entre le risible et le déplorable. L’expérience, le charisme et le militantisme se sont réduits en un simple dossier de candidature comme pour postuler à un poste d’emploi. Cet avilissement volontaire et délibéré de la plus haute fonction de l’Etat a bigrement contribué à la déliquescence de l’autorité et la dislocation des institutions car, en plus de ce régime biscornu qui a charcuté les sphères du pouvoir et délesté la présidence de la République de sa substance, ses tenants et ses gouvernants témoignent d’un amateurisme et d’une incompétence sans commune mesure. En l’espèce, certains candidats infatués, à l’outrecuidance démesurée, sont miraculeusement passés de l’anonymat total aux manchettes des quotidiens et hebdomadaires de la place en un tournemain.
Leur score, qui frise le ridicule, est symptomatique de leur candidature folklorique et burlesque. Le plafond de verre s’est tellement brisé qu’on avait assisté pantois à un déferlement de candidats sur les bureaux de l’ISIE, formant d’interminables files d’attente dignes des scènes de distribution de rationnements en période de communisme rigoriste.
De bien plus ambitieux candidats ayant acquis une notoriété dans le monde du sport, des médias, de la philanthropie ou de la musique – selon des versions peu vérifiées et à peine crédibles -, et disposant de gros moyens financiers dont l’origine soulève les suspicions les plus légitimes, ambitionnent de monnayer leur popularité et les œuvres de charité et de bienfaisance indiscrètement prodiguées contre des voix sournoisement détournées. Cette parodie mal interprétée, n’a assurément besoin que de cabotins pour répandre la platitude.