samedi 23 novembre 2024
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La quatraine : nouvelle trouvaille anti-Covid

Par Anis Basti

Décidemment, le génie tunisien ne cesse d’impressionner le monde. Loin des fausses annonces et exploits fictifs relayés par la machine des fake news et colportés par les esprits malveillants pour vulgariser la sottise et célébrer la niaiserie, la Tunisie s’est vue acclamée par la communauté internationale qui lui a réservé une haie d’honneur au lendemain du 14 janvier 2011 pour avoir repris son destin en main et s’être affranchie du joug de la tyrannie. Toutefois, une décade plus tard, cette Révolution qui s’est par ailleurs exportée vers quelques contrées arabes occasionnant désastre et ravages, n’est pas mieux lotie au pays du Jasmin. Les tirs d’artillerie en moins. Les espoirs se sont vite déchus et les illusions de lendemains meilleurs rapidement perdues.

Quand le dépérissement frôle les abîmes, il est difficile de désigner des coupables et dédouaner le reste. Il est une fâcheuse habitude qui résulte de l’atavisme des régimes totalitaires et de leur legs incommodant qui stipule l’appropriation du succès et son attribution à la sphère de l’individuel pour nourrir les discours pro domo et propos glorificateurs ; en revanche, l’échec est souvent dilué dans le collectif, aussi candide soit-il, et les coupables désignés sont voués aux gémonies comme pour attester de la couardise des régents et leur incapacité à assumer pleinement leurs actes et décisions. Force est de constater que les prouesses tunisiennes ne confinent pas aux élans révolutionnaires et subversifs qui, par ailleurs, ont fait pschitt et conduit à cet état de désenchantement généralisé qui augure des jours brumeux.

En effet, elles ont fait florès en ces temps de pandémie pendant lesquels toute la communauté internationale avec ses organisations, ses gouvernements et ses scientifiques, est partie à l’abordage contre ce fâcheux virus qui n’arrête plus de surprendre par sa faculté de mutation et virulence toujours plus létale. Il y a de quoi se perdre en conjectures tellement les avis, les conclusions et les assertions sont nombreuses et contradictoires. On confine et on reconfine. On affirme et on se rétracte. On spécule sur l’évolution du virus, la durée de son incubation et de sa survie dans l’organisme. On doute à propos de l’efficacité des vaccins et leurs effets indésirables. Dans toute cette agitation mondiale et ce capharnaüm scientifique, la Tunisie ou plutôt le gouvernement tunisien vient de mettre son grain de sel et s’inviter à cet âpre débat en inventant la plus biscornue et extravagante des mesures, à savoir un confinement de … quatre jours ! Normalement, cette décision devait se prendre uniquement sur un soubassement sanitaire dans le but de juguler le pouvoir de transmission du virus par la fixation de la population dans les domiciles et la réduction drastique des contacts sociaux et professionnels. Selon les normes communément admises par la communauté internationale des virologues et épidémiologistes, la durée recommandée pour la mise à l’isolement des sujets suspicieux ou pour un confinement général,! se situe autour de quatorze jours d’où le néologisme quatorzaine. Cette durée correspond à l’intervalle entre la période d’incubation du virus et la guérison définitive afin que le patient puisse reprendre une activité sociale et ne plus constituer une menace de contamination pour autrui.

Cependant, le gouvernement tunisien n’a pas vu la problématique du même œil, et la durée inédite du confinement décrété à l’occasion d’une conférence de presse aussi fade et morose que l’ambiance qui règne dans le pays, laisse le plus commun des citoyens perplexe quant aux réelles motivations de cette décision. Le flou persiste encore sur les résultats des travaux du Comité scientifique et dans quelle mesure ont-ils été retenus et adoptés par le gouvernement. Si ce n’est pas le cas – hypothèse la plus probable -, à quoi servirait-il alors si ce n’est pour faire de la simple figuration ou pour subir l’affront de la mise au rebut de son travail ? Reste l’éventualité que c’est ce même Comité qui est à l’origine de ce confinement de quatre jours. Lequel cas, il aurait conclu que le virus, une fois introduit dans un corps tunisien, ne saurait y demeurer plus que quatre jours. Par pitié peut-être car, découvrant l’ampleur de l’aigreur et du malaise qui rongent le Tunisien de l’intérieur, il aurait éprouvé de la commisération en effectuant un passage fugace et évanescent. Une décision qui n’a aucun fondement scientifique ni empirique et qui ne peut s’apparenter qu’à une scène caricaturale.

Toutefois, le contexte temporel et politique dans lequel cette décision saugrenue a été prise, prête à interprétation et porte à croire qu’elle fut motivée par des mobiles politiques et calculs purement partisan. Craignant des débordements et troubles sociaux à l’approche du 14 janvier, le gouvernement a usé à l’envi de l’alibi sanitaire pour s’arroger une coercition providentielle et empêcher du coup que d’éventuelles contestations viendraient rajouter une couche à son discrédit. Le cas échéant, le gouvernement a été rattrapé par ses propres tares et a fait preuve d’une déficience de clairvoyance car il s’est avéré que le confinement a, au contraire, exacerbé les tensions et mis le feu aux poudres. La machine du pillage et du vandalisme s’est mise en branle à la nuit tombée où des hordes de jeunes, disséminés sur tout le territoire, se livrent à des affrontements dignes d’une guerilla urbaine d’une rare violence avec les forces de l’ordre et s’adonnent au saccage des magasins et biens publics et privés. Pourtant, c’est connu depuis belle lurette que les troubles sociaux en Tunisie connaissent leur paroxysme au mois de janvier peut-être question de se réchauffer un peu des températures glaciales et du froid hivernal.

Ce gouvernement ne peut s’en vouloir qu’à lui-même car il a mis tous les ingrédients pour allumer les braises de la révolte et enfoncer le pays dans la spirale de la violence. Alors que la paupérisation et l’indigence battent des records, que les perspectives d’avenir sont plus que jamais bouchées, un deuxième confinement, de surcroit entaché de soupçons politiques pour les raisons susmentionnées, a été perçu comme une provocation volontaire et une restriction à la liberté de manifester que les politiciens de tous bords ont souvent radoté qu’elle est garantie par la Constitution. Il faut aussi reconnaître que le gouvernement était plus occupé par le remaniement ministériel sur fond de représailles entre les institutions du pouvoir que de s’échiner sur les défis cruciaux qui guettent les Tunisiens et qui compromettent leurs conditions de vie les plus élémentaires. Une fois de plus, nos dignitaires ont manifesté un amateurisme politique criard et un déficit d’imagination patent pour faire barrage aux mouvements contestataires. Leur fourberie a dépassé les limites de la décence en instrumentalisant, sans scrupule, la lutte contre la Covid et en feignant de se soucier de la santé des Tunisiens dans le but de museler, subrepticement, les voix factieuses et mater les élans de la contestation avant leur survenue. La fin justifie les moyens.

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