Rien ne prédestinait Mathilde Clémence Lorain, née un 24 janvier 1890 dans une petite commune de la région parisienne, à jouer un rôle de premier plan dans l’histoire de notre pays, et à devenir l’épouse de son premier président.
Son destin bascule ce jour de 1925 lorsque Habib Bourguiba, jeune étudiant en droit à la recherche d’un logement, frappe à sa porte.
Mathilde Lorain porte alors le deuil de son mari, un militaire tombé dans les trachées de la première guerre.
Elle a 14 ans de plus que lui.
Elle succombe au charme de ses yeux bleus. Il tombe également amoureux de cette femme aimante qui, d’une certaine façon, va combler le vide énorme causé par la perte de sa mère alors qu’il n’était encore qu’un enfant.
Ils se mettent en ménage comme on disait à l’époque.
Entre la formation d’avocat et l’apprentissage de la politique, la rencontre avec Mathilde Lorain est déterminante pour Bourguiba. L’affection d’une femme plus âgée, compréhensive, va faciliter ses études et lui permettre d’être père.
En effet, en avril 1927, elle lui donne un fils et au mois d’août de la même année, Mathilde Lorain devient officiellement Mathilde Bourguiba.
Toujours en 1927, Habib Bourguiba obtient sa licence de droit et décide de rentrer à Tunis.
Elle vend ses meubles et l’accompagne dans cette nouvelle vie.
Elle est à ses cotés dans les années de lutte et de doute lorsqu’il subit la répression. Elle supporte avec un courage admirable les endurances et les sacrifices de la lutte pour l’indépendance de la Tunisie, devenue son pays.
Que d’heures elle passe dans les couloirs des prisons avec son couffin de provisions et de linge propre à attendre qu’on l’autorise à voir son mari.
Elle prend tous les risques pour la cause nationaliste, allant jusqu’à jouer le rôle d’agent de liaison entre son mari, emprisonné, et les militants ou encore en organisant des réunions secrètes chez elle.
Elle est aussi aux cotés de Bourguiba durant les premières années de gloire lorsqu’il voyage à travers le monde pour porter le message de la Tunisie nouvellement indépendante.
Au lendemain de l’indépendance, elle adopte la nationalité tunisienne, se convertit à l’Islam et prend le nom de Moufida.
Alors que Bourguiba la décore du grand cordon de l’ordre de l’indépendance, elle lui répond, émue, « tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour toi et pour ton pays ».
Le couple divorce en juillet 1961, en pleine crise de Bizerte. Moufida s’en ira vivre discrètement dans une villa nichée dans un jardin située au parc du Belvédère.
À sa mort, le 15 novembre 1976, elle est inhumée dans le mausolée de Bourguiba à Monastir. Il la rejoindra un triste 6 avril de l’année 2000.
Dans une lettre datée du 21 mars 1937, Bourguiba écrit à Mathilde : « pardon pour tous les sacrifices, toutes les privations, toutes les souffrances que je t’ai infligés, à cause de ma vie politique, de mon idéal, des nécessités impérieuses de la lutte que j’ai menée pour améliorer le sort de mes compatriotes et de ma patrie et leur inculquer le sens de la vie et de l’honneur.
Toutefois, dis-toi bien que tes souffrances, je ne les ai jamais ignorées et elles n’ont fait que te grandir dans mon amour et mon estime, je dirais même dans mon admiration… »
Reposez en paix Madame.