Par Hédi LABBANE
Peintre-enseignant
Il y a des sujets dont la banalisation frise l’impudence : bien que les violences faites aux femmes et le harcèlement qu’elles subissent (quels que soient leur nature et le milieu où elles s’exercent : familial, professionnel ou espace public), tombent sous le coup de la loi, celle-ci n’est pas assez sévère pour dissuader les machistes impénitents, d’autant plus que ce comportement est manifestement endémique à des degrés variables de par le monde. Les sociétés dites arabo-musulmanes figurent indignement au premier rang.
Afin d’éviter les conflits au sein de leur foyer mettant à mal sa cohésion ou de préserver leur carrière professionnelle ou par crainte de licenciement, beaucoup de femmes préfèrent garder le silence sur les chantages et les agressions qu’elles endurent (physiques, sexuelles, psychologiques, verbales…). La lutte contre ces mauvais traitements ne saurait souffrir de compromis de la part de celles qui en sont les victimes. On peut comprendre cette attitude, mais jamais la justifier. Ce phénomène planétaire durera tant que les femmes se tairont.
La loi tunisienne en la matière, si avancée soit-elle (même celle qualifiée d’historique, promulguée en août 2017, relative « à l’élimination de toute forme de violence à l’égard des femmes » et les débats publics qui reviennent tel un serpent de mer) ne sauraient suffire tant que l’éducation ne s’y mêle pas pour faire évoluer les mentalités masculines et combattre les attitudes résignées des victimes.
Ce sont les actes qui libèrent. La résignation est une triste vertu. Elle est une forme du désespoir, et dans ce cas précis, une insulte à la dignité humaine.
L’acception courante de sexisme (pente glissante vers la misogynie), est fondée sur des stéréotypes persistants. Le plus souvent répandue dans les milieux traditionalistes religieux, imbus de suprématie masculine, elle est accablante et discriminatoire principalement à l’égard des femmes qui en sont les principales cibles. C’est un truisme que de le souligner.
Tandis que la misandrie (l’équivalent symétrique de la misogynie) pourrait être une réaction défensive justifiée par celles qui la ressentent face au machisme endémique. Paradoxalement, elle est, dans une certaine mesure, une aspiration implicite à une égalité hommes/femmes mais dans le sens négatif du terme. Pour ainsi dire, c’est rendre la pareille aux hommes. Etant beaucoup moins fréquente, elle est l’exception qui confirme la règle que ce sont les femmes qui sont quasiment les victimes de la discrimination masculine, non seulement historiquement, mais qu’elles en souffrent à ce jour : une attitude abjecte qui ne disparaîtra de sitôt !
Même s’il reste beaucoup à faire pour que la femme tunisienne jouisse pleinement de ses droits sans restriction, il faut reconnaître que ses droits civils se sont sensiblement améliorés depuis l’avènement de l’indépendance, concomitamment à l’instauration audacieuse du Code du statut personnel en 1956, initié par le charismatique Bourguiba et ce, malgré ses insuffisances et des accommodements avec les autorités religieuses de l’époque.
D’autres part, on constate – avec une réserve en ce qui concerne le milieu rural – qu’à partir des années 60, et grâce à la scolarisation obligatoire sous le même Bourguiba, la jeune fille tunisienne s’est, peu ou prou, émancipée de certaines contraintes discriminantes, sexistes, liées aux us et coutumes portés par une tradition séculaire à tendance conservatrice, principalement en milieu familial.
Plus tard, depuis le soulèvement populaire du 14 janvier 2011, la femme tunisienne a fortement marqué, par sa présence, les mouvements revendicateurs et les marches contestataires, parce que légitimement inquiète de ses acquis (quoique insuffisants) en matière de droit et de dignité, réellement menacés avec la montée de l’intégrisme islamiste et de la doxa conservatrice très prégnante.
A maintes reprises, avec ses compagnons de lutte (les hommes acquis à sa cause), la femme tunisienne a fait preuve de capacité à tenir tête aux tentatives des courants réactionnaires, cherchant à la rabaisser au rang de subalterne, de « complémentaire » de l’homme, de citoyenne de seconde zone, à dessein de briser ses ambitions vers plus d’égalité des sexes dont celle dans l’héritage hommes-femmes qui souffre de l’incurie manifeste des parlementaires, sinon du rejet populiste assumé par les plus opportunistes d’entre eux.
Si l’on excepte la femme militante, conscientisée, il existe la femme tristement victime de sa résignation à la fatalité sans broncher, sinon soumise à la domination endémique des hommes.
Certes, nul ne peut nier l’opportunité de nouvelles lois pour progresser en matière de droit positif (encore à la traîne) au bénéfice des femmes. Pour autant, le chemin est encore long, en ce sens que la tâche la plus ardue c’est de parvenir à faire évoluer les mentalités ataviques, imbues de machisme sournois. Ce n’est pas une sinécure, quand bien même les apôtres du modernisme s’en défendent parce que ce n’est pas de bon ton de s’y opposer.
Si « la femme est l’avenir de l’homme », comme dit la chanson, son avenir à elle reste entre ses mains.