Par Zouhair BEN JEMAA
Parmi les 24 gouvernorats que compte la Tunisie, il en est un qui a été de toutes les batailles, et de toutes les invasions : le Kef qui fut le creuset de plusieurs civilisations a été un centre rayonnant à travers l’histoire millénaire de la Tunisie : Punique, Romaine, Numide, Byzantine, Arabe, Ottomane, puis Française, et depuis l’indépendance du pays, la ville du Kef attend encore d’être Tunisienne. Ce Kef qui n’a jamais cessé d’enfanter les plus grands artistes, qui a vu la naissance de par sa mère de Hussein Ben Ali, premier Bey de la dynastie Husseinite qui a régné sur la Tunisie pendant 2,5 siècles ! C’est au Kef qu’a été construite la première église chrétienne d’Afrique, et de tant d’autres sites d’une richesse inestimable !
Pourtant le gouvernorat ne possède pas un seul hôtel civilisé pour accueillir les visiteurs intéressés par l’histoire et par la géographie, car est-il nécessaire de rappeler que le Kef collectionne la plus grande chaîne de montagne et la plus variée d’Afrique, que la Table de Jugurtha, classée monument appartenant au patrimoine mondial par l’Unesco est un lieu magique ne bénéficiant d’aucune structure promotionnelle à l’international ? Comme partout en Tunisie, les palais qu’on appelle de Bourguiba qui occupent des hectares sont abandonnés et livrés aux sans-abris, et aux dépravés sans le moindre entretien. Et si l’économie peine à subsister, c’est dû à l’absence d’investissements, à l’absence d’attention des gouvernements successifs, et à l’absence de motivation des citoyens qui se sentent méprisés, bernés et trahis par l’Etat et par les prédateurs de toutes sortes.
La sixième édition du festival de musique « Sicca Jazz » vient de se terminer après la tenue de huit concerts sur sept sites naturels, l’avant dernier s’est tenu au pied de la table de Jugurtha, un lieu féérique, une chanteuse de la région très engagée, et très raffinée, l’art pour l’art avec Badi3a Bou7rizi. Le premier constat qui vient à l’esprit, c’est l’absence des jeunes de tout le pays, et qui seraient venus si seulement les responsables de la culture leurs avaient facilité le transport et l’hébergement même sous forme de campement, ce n’est pourtant pas l’espace qui manque. Les seuls privilégiés qui ont profité de ce moment magique sont les propriétaires de la soixantaine de voitures qui ont fait le déplacement. Et c’en sera fini avec la culture jusqu’à l’année prochaine, ce n’est pas ainsi que la culture avancera et que l’économie redémarrera, voilà pourquoi le Kef est malmené et pourquoi le Kef est désocialisé !
En quittant le centre-ville, on a l’embarras du choix tant les sites pullulent, mais tous ont la même particularité : la négligence, le manque d’entretien, l’absence de promotion même à l’intérieur du pays. Le Hammam de Oued M’allègue, a le privilège de réunir les seuls bains romains qui fonctionnent comme au bon vieux temps, disposant d’une source d’eau chaude jaillissant de la montagne et servant au bonheur inestimable des quelques habitants du coin. Et bien ces Hammams sont fermés depuis plus de quatre ans, officiellement pour cause de rénovation, l’état des lieux est on ne peut plus misérable, massacre du site à cause de travaux qui ont défiguré le site original, des allées et des ravins jonchés de plastic et de saletés, et le tout dans l’indifférence totale des fonctionnaires de l’Etat, et dans l’insouciance des responsables des autorités régionales ! C’est pourtant grâce à ces trésors uniques que l’économie aurait pu redémarrer, c’est ce qui devrait être le pétrole du Nord-Ouest.
De l’autre côté en allant vers Dahmani, et en se dirigeant vers Mdaynia, il y a un site majestueux, un site impérial, le site d’Althiburos, l’ennemie jurée de Carthage, cette puissance agricole qui fut considérée comme le grenier de Rome, et qui a vu se succéder une armada d’envahisseurs : Carthaginois, Numides, Vandales et Arabes, tous ont laissé des traces indélébiles ! En arrivant, on est étranglé par la grandeur des lieux, puis on est vite déçu de ne trouver personne pour garder ces lieux, personne pour nous faire payer un droit d’entrée, personne pour nous guider et nous nourrir d’histoire, personne pour nous vendre un souvenir, des cartes postales, des livres, non il n’y avait pas âme qui vive, il n’y avait que nous. Songez à ce que cela représente pour les Tunisiens qui n’en entendent même pas parler, sentez ces odeurs et ces parfums en fermant les yeux, observez, touchez, palpez ces matériaux, vous entendrez les bruits des charrettes, le brouhaha des citoyens, et vous percevrez les couleurs des marchés et l’euphorie du cirque à l’amphi ! Il y a une harmonie profonde, un peu mystérieuse entre nos êtres et ces lieux.
Ils sont nombreux ces sites au Kef et partout ailleurs en Tunisie, mais nos gouvernants sont paresseux, ils ont opté pour les grandes unités balnéaires en all inclusive qui tiennent le touriste prisonnier jusqu’au jour de son départ. Ces sites sont donc ignorés par nos touristes, et encore plus par nos concitoyens car les moyens de communication et les moyens d’hébergement sont totalement absents. Pour les personnes aisées, il n’y a pas besoin de partir bien loin pour apprécier les beaux paysages, ou profiter du calme et de la vie saine, avec juste quelques euros, ils pourront profiter des quelques maisons d’hôtes du kef et d’ailleurs qui offrent une qualité de prestations inégalable. Nous avons des passionnés qui vous feraient aimer les lieux et vous procureraient des moments de bonheur inestimable comme Emna Charfi, Mohamed Tlili, et bien d’autres, des enthousiastes qui connaissent tous les lieux magiques de la Tunisie millénaire, mais ces férus n’ont que leur bonne volonté et leur grande passion à proposer, la culture est une affaire d’Etat, c’est un choix vital pour façonner les générations gagnantes. La culture, comme l’éducation, est un choix de société !