Par Hédi LABBANE
Peintre-enseignant
« On a généralisé le baccalauréat comme diplôme de fin d’études secondaires sans mettre en cause son statut de premier grade universitaire donnant accès aux études de licence. Mais on ne s’est pas interrogé sur les besoins et les motivations d’une large partie du public qui entre à l’université sans avoir les capacités de poursuivre des études supérieures longues et même sans en avoir le désir. » Extrait de l’article : « L’université n’est pas la solution pour tout le monde. » paru dans la version électronique du journal Le Monde, le 11 septembre 2017.
« Honorer la Nature c’est honorer la vie. »
Même si c’est prêcher dans le désert, et sans chercher à occulter les péripéties flippantes qui nous accablent, essayons de faire le point sur la QUESTION ÉCOLOGIQUE EN TANT ENJEU PLANÉTAIRE UNE GRANDE ACTUALITÉ, réitérée par des lanceurs d’alerte avisés, cruciale pour la survivance des humains. Sujet remis sur la table avec l’apparition et la persistance d’une pandémie Covid-19 inédite.
L’écologie, dont l’objectif est la sauvegarde d’un environnement harmonieux et la réconciliation des humains avec la Nature, n’a ni couleur politique ni idéologie au sens convenu du terme. Du coup, elle est récupérée sans vergogne par l’opportunisme des partis conventionnels – de gauche comme de droite – qui se targuent de s’en préoccuper. De plus, elle bute sur une opposition incarnée au plus haut degré par « l’économisme » des puissants lobbys industriels, corporatistes, manipulateurs des politiques, corrupteurs des scientifiques, climato-sceptiques par excellence, alliés de l’arrogant et populiste ex-président des Etats-Unis, Donald Trump, qui se gaussait d’une épidémie hors de ses frontières avant de la subir cruellement. Ils lui ont emboité le pas le premier ministre australien de droite Scott Morrison, partisan de la poursuite de l’exploitation des mines de charbon unanimement critiquée par les climatologues, le premier ministre britannique Boris Johnson, sympathisant des négationnistes du changement anthropique du climat et le président brésilien Jair Bolsonaro, dénommé le « Trump tropical », bouffon classé à l’extrême droite fascisante. Sans aucun scrupule, ce dernier a repris de plus belle la déforestation de la jungle amazonienne sérieusement ravagée par l’incendie sans précédent de 2019 dont il a effrontément minimisé la gravité : « circulez, il n’y a rien à voir ! ». Même le politiquement correct Emmanuel Macron n’est pas en reste : en 2019, il est revenu sur ses promesses électorales en matière d’écologie. Il semble ne s’être jamais départi de ses accointances avec des entreprises d’envergure de fabrication de pesticides, en retardant l’interdiction du glyphosate, cet herbicide non sélectif à haut risque pour la santé dont des défenseurs zélés, ignorant le principe de précaution, affirment l’innocuité.
Il arrive aussi que des projets écologiques soient entravés par des pratiques crapuleuses, tels que les conflits d’intérêt, les trafics d’influence impliquant des responsables politiques. A titre d’exemple, la démission fracassante en septembre 2018 de Nicolas Hulot, ex-ministre français de la Transition écologique – déçu de son expérience gouvernementale – témoigne des agissements des lobbys et de leur connivence avec le pouvoir.
Aux quatre coins de la planète, la sauvegarde de « Mère Nature » conçue comme synergie et son impact sur la qualité de la vie sont dangereusement mis à mal par l’action criminelle, destructrice des humains. C’est d’autant plus dramatique que ces derniers, habités par le profit à outrance, représentent une proportion négligeable des formes de vie sur la Terre…c’est tout dire !
A titre non exhaustif, citons les causes de dégradation écologique suivantes interagissant entre elles :
– Le rétrécissement des terres arables et son corollaire, l’extension alarmante des zones urbaines.
– La poursuite, dans l’indifférence générale, de la déforestation massive en Amazonie, en Afrique, en Indonésie au profit de gros exploitants du bois et d’huile de palme, de l’extension des pâturages et des régions agricoles au détriment d’animaux sauvages territoriaux, contraints à se rapprocher des humains, favorisant ainsi la transmission des virus (zoonose).
– L’élevage industriel extensif de ruminants, l’un des facteurs d’émission de méthane dans l’atmosphère (à côté des autres activités industrielles des secteurs primaire et secondaire).
– La persistance de la surpêche illégale, fortement préjudiciable à la reconstruction des stocks de poissons et à l’équilibre de la faune marine.
– Le rejet sauvage des matières plastiques en quantités phénoménales et des déchets toxiques à terre et en mer.
– L’extraction incessante des combustibles fossiles pour les besoins d’une industrie immodérée.
– L’usage excessif, quasi systématique des intrants agricoles écotoxiques : les engrais chimiques comme substitut de la pratique des jachères permettant à la fois le repos des sols et leur fertilisation naturelle et les pesticides ravageurs, sans parler des douteux organismes génétiquement modifiés (OGM) appliqués à l’agriculture dans le but d’accroître la production… Au fait, sur ce dernier point, qu’en est-il de la Tunisie ?? Les gouvernements successifs représentés en l’occurrence par le ministère de l’environnement, font la sourde oreille. Ce ministère « de l’apparence » qui brille par son absence, rechigne à clarifier sa position quant à l’utilisation ou non des OGM dont on ne peut affirmer l’innocuité sur la santé et qu’on soupçonne de contaminer les plantations biologiques. Il est tenu aussi de s’expliquer sur l’utilisation des pesticides et des fongicides hautement nocifs pour les espèces pollinisatrices et les êtres humains, notamment les substances chimiques objet de controverses ou d’interdiction en Occident. Celui-ci, cyniquement, les refile aux pays du Sud, dont l’Afrique. A cet égard, un éminent chimiste tunisien a pointé du doigt la dangerosité des pesticides, je le cite : « Ces composés toxiques menacent nos concitoyens, agriculteurs et consommateurs réunis, les premiers lors de l’épandage des toxiques et les citoyens lors de la consommation des résidus de ces composés sur les fruits, les légumes, le pain…Il est nécessaire et urgent que nos responsables de l’agriculture, de la santé, de l’environnement prennent la mesure des dangers des pesticides et définissent une ligne de conduite qui tiennent compte de la santé des Tunisiens et leur environnement. On notera enfin que si le Roundup (de l’entreprise américaine Monsanto) et les formulations qui en contiennent étaient interdits chez les pays riches, méfions-nous ! Les marchés du Sud risquent alors d’être inondés par ces formulations. Ne soyons pas les dindons de la farce. Interdisons-les immédiatement ! » (Fin de citation) Dixit Mohamed Larbi Bouguerra.
Cette mise en garde du chevronné scientifique devrait imposer, de prime abord, le principe de précaution de la part des autorités tunisiennes, avant de réfléchir à la mise en place d’un nouveau modèle de développement agricole moins agressif en privilégiant l’usage des biopesticides (« biomimétisme »). Que nenni ! Aucune initiative dans ce sens !! En l’occurrence, il est du devoir des biologistes, des associations environnementales, de l’Organisation tunisienne de défense du consommateur (ODC), de l’Institut national de la consommation (INC) de se faire entendre publiquement en se prononçant sur la question, d’en conscientiser les agriculteurs, d’inciter au développement durable, à l’accroissement de la culture biologique et d’insister auprès des autorités concernées pour stopper, d’une part, l’importation irresponsable de ces composés toxiques et, d’autre part, empêcher l’écoulement des pesticides contrefaits sur le marché parallèle tombé aux mains de contrebandiers véreux. Il y va de la santé des consommateurs d’aujourd’hui et des générations futures.
Il est triste de constater que toutes ces mesures tiennent davantage du vœu pieux du fait que ni ces organismes ni les pouvoirs publics ne semblent s’en soucier, auquel cas leur silence est un crime. Ils sont coupables de négligence s’ils s’en tiennent exclusivement à leur droit de regard sur le contrôle des prix impactant le pouvoir d’achat des consommateurs et sur les multiples causes d’insalubrité de produits mis sur le marché.
Tant de facteurs anthropiques, impactant plus ou moins directement la santé des humains et l’état de la biosphère, telles que :
– L’apparition de graves pathologies comme le cancer, la multiplication des affections respiratoires aggravées par la propagation exponentielle d’un Coronavirus mutant, le diabète provoqué par des perturbateurs endocriniens.
– La pollution grandissante au monoxyde de carbone, aux particules fines et autres molécules chimiques induisant l’altération irréversible de l’ozone, bouclier contre les UV solaires.
– La fréquence d’une météo capricieuse un peu partout sur la Terre, se traduisant par des records de chaleur alarmants confirmés par d’éminents climatologues, par de longues périodes de sécheresse en hiver, alternées par des intempéries dont l’intensité est imprévisible, donnant lieu à des inondations torrentielles empêchant l’absorption des eaux par la terre et à la formation de monstrueux ouragans de plus en plus fréquents. Cette tendance au réchauffement climatique, a affecté la température des océans. S’en est suivi la fonte d’énormes glaciers induisant l’élévation du niveau des mers et par là le déplacement forcé des populations côtières. Il y a aussi l’érosion et ses effets sur l’appauvrissement des sols cultivables aggravés par l’épuisement des micro-organismes indispensables à la croissance saine des plantes.
– La diminution inquiétante des réserves d’eau souterraine soumises à un pompage excessif et à l’exploitation abusive.
– L’hécatombe des oiseaux et insectes pollinisateurs.
– La dégradation multifactorielle de la biodiversité (potentiel de survivance) : acidification des mers et ses dangereuses conséquences sur les richesses maritimes et la production d’oxygène provenant pour une grande part des océans, altération des biotopes (milieux homogènes propices à l’épanouissement de la vie) entraînant la disparition d’espèces endémiques, élimination des herbes dites « sauvages » par l’épandage quasi systématique d’herbicides non sélectifs. Soit dit en passant, malgré l’acharnement pour faire disparaître cette catégorie de plantes qui poussent spontanément, elles survivront, et c’est tant mieux pour la Nature qui tente tant bien que mal de reprendre ses droits. A noter que les plantes dites « sauvages » sont tout aussi utiles pour les espèces animales (les hommes en font partie) sur les plans alimentaire, thérapeutique et même esthétique (nature bigarrée) que pour l’ensemble du règne végétal avec lequel elles entretiennent une interdépendance vitale et cohabitent en parfaite synergie en contribuant au maintien de l’équilibre des écosystèmes. L’appellation « mauvaises herbes » ou « herbes folles » est subjective et erronée. C’est une invention purement humaine, associée à l’activité agricole (céréalière et maraîchère) et aux profits que celle-ci engendre, mais totalement étrangère à l’acception de Nature absolue. Par contre, comme c’est dit plus haut, l’agriculture a tout à gagner en recourant à l’interaction naturelle entre plantes cultivées et plantes spontanées.
Selon de sérieuses études, tous ces agissements délétères pour la Nature pourraient accélérer la disparition de l’espèce humaine, peut-être même qu’ils préfigureraient la survenue prématurée d’une sixième extinction des espèces d’où les humains ne seraient pas épargnés. Pour comble de cynisme, ces actes, potentiellement destructeurs, sont prégnants aux yeux d’exploitants cupides, sous le prétexte d’être au service de l’humanité, à savoir la satisfaction des besoins vitaux d’une population mondiale en progression. Jusque-là, on ne peut que louer ces apparentes bonnes intentions si elles ne sont pas dévoyées par la fuite en avant vers plus de productivité, notamment dans l’agro-alimentaire, sous la férule des multinationales soutenues par un modèle financier puissant. Afin de protéger les cours des produits agricoles, elles ne se font pas de scrupules pour détruire l’excédent des récoltes qui aurait pu réduire sensiblement la famine persistante dans le monde. Sans parler de la déperdition d’énergie que cela engendrerait à la production et à la transformation des aliments et du gaspillage au niveau de la consommation dans les pays riches, mais pas que…
Au point où nous en sommes, et à la lumière du constat alarmant du désastre écologique, il apparaît de plus en plus que le libéralisme économique, corseté par l’hégémonie d’une finance mondiale prédatrice et son corollaire l’économie de marché obsédée par le taux de croissance, est incompatible avec l’éthique environnementale. Tant que ce système monétaire est maintenu, les inégalités perdureront.
Les réalistes parmi les scientifiques exhortent tous les pays du monde à changer de cap en intégrant la transition écologique dans leurs priorités nationales et à trouver dans l’urgence des énergies alternatives avant l’épuisement total des gisements pétrolifères et gaziers. Autrement, la situation climatique serait beaucoup plus critique, d’autant plus que les plus gros pollueurs de la planète sont les grandes puissances tentées par la fuite en avant vers une industrie outrancière, potentiellement climaticide. En tête de liste figurent les Etats-Unis, la Chine et l’Inde.
Outre les incantations religieuses d’un autre âge pour espérer le secours de Dieu, il faut reconnaître, hélas, qu’en l’état actuel des recherches, il n’y a pas de solutions miracles et qu’aucune d’entre elles n’est exempte d’inconvénients : la pollution atmosphérique et l’effet de serre pour les énergies fossiles, les déchets radioactifs pour le nucléaire, la pollution sonore et/ou esthétique pour les éoliennes et les panneaux photovoltaïques envahissant, à perte de vue, paysages, déserts et mers, le coût exorbitant des barrages et leur exploitation mise à mal par la fréquence des sécheresses pour l’hydraulique. Alors, que faire ?? Dans ces conditions, en espérant d’autres alternatives (pour l’heure hypothétiques), il faut opter pour le moindre mal !
D’un point de vue naturaliste et humanitaire, l’Homme est en nette régression. Il se targue de sa conception du « progrès » et de la prospérité à tout crin qu’il perçoit à l’aune de ses ambitions de possession. Cette conception s’est avérée génératrice de paupérisation, de précarité sociale, dévastatrice de l’environnement, incompatible avec la durabilité de la planète. Ce n’est pas la bonne volonté des présumées « O.N.G. », dépourvues de pouvoir décisionnaire malgré leur militantisme apparent, ni les collectifs d’experts désignés par les gouvernants, qui vont changer la donne.
Le rôle de ces collectifs se limite à rédiger des rapports d’évaluation, tout au plus à proposer des mesures exceptionnelles pour prévenir le pire ou, du moins, limiter les dégâts. Pour l’instant, le rapport de force est du côté des partisans de la mondialisation économique dont la politique est un instrument de propagande. Un système douteusement servi par des think tanks plus proches du pouvoir que réactifs aux rencontres et autres conférences internationales sur l’environnement.
L’ère de l’anthropocène (impact pernicieux des activités humaines – notamment industrielles – sur l’équilibre environnemental) n’est plus une vue de l’esprit : le processus de dégradation climatique se fait de plus en plus sentir et la production de masse génère une production massive de CO2. Le point de non-retour est sur le point d’être atteint…, s’il ne l’est déjà ! Le fait est que les prétendus « décideurs » de ce monde, ne disposant que d’un pouvoir éphémère, ne sont que la partie visible de l’iceberg. En fait, ils œuvrent sous l’emprise du pouvoir invisible de grandes firmes multinationales et de puissants groupes industriels. Ces fantoches manipulés, sous couvert d’une démocratie formatée, tergiversent à inscrire sérieusement la transition écologique dans leur priorité.
En réaction à cette situation affligeante, des marches citoyennes pour le climat (momentanément mises en veille, situation pandémique oblige) s’organisent périodiquement et concomitamment dans plusieurs pays pour réclamer l’état d’urgence climatique, réveiller les Etats de leur torpeur afin qu’ils prennent à bras-le-corps la préservation de la Nature pour la survivance d’une planète viable et vivable. Cet engouement climatique transfrontalier représente une lueur d’espoir, d’autant plus qu’une jeunesse conscientisée de par le monde, ne croyant plus aux partis, s’est mobilisée massivement pour cette cause, arborant leurs propres slogans-jeux de mots, tels que : « aux arbres, citoyens », « les calottes sont cuites », « si la planète était une banque, on l’aurait sauvée », « ta planète, tu la préfères bleue ou bien cuite? », « arrête de niquer ta mer ! », « moins de riches, plus de ruches », « le fond de l’air effraie », « j’ai mal à la Terre », « les températures montent, la colère aussi »…
Le romantisme utopique de retour à la Nature des années 60, 70 n’est plus de mise. Aujourd’hui, c’est de respect et de protection juridique dont elle a besoin.
Sans minorer le bénévolat des actions locales, le problème de la destruction inconsidérée de la Nature est incontestablement un phénomène mondial. C’est en tant que tel qu’il doit être traité et non selon des approches souverainistes. Pour le coup, le seul salut est de parvenir à une symbiose entre l’Homme et la Nature. Le défi est utopique, pourrait-on dire, parce que l’enjeu est de taille et les difficultés y afférentes sont des plus ardues.
Quand le progrès économique et l’emballement productiviste provoquent tant de dégâts et de souffrances, quand le taux de croissance est l’obsession des gouvernants quoi qu’il en coûte, quand la logique du productivisme et son corollaire le consumérisme prévalent, faisant croire que le bonheur et le bien-être y résident, il y a de quoi désespérer de l’espèce humaine évoluant à l’envers. « L’homo sapiens/demens » (formule d’Edgar Morin) sombre dans le délire. Il ne s’embarrasse pas de l’ambivalence de son comportement paradoxal, destructeur dans les faits et hypocritement protecteur dans le discours. Inconscient, tournant le dos à cette triste vérité, il est à craindre qu’il ne fasse pas long feu. Tout porte à croire que le cerveau humain, imbu de sa supériorité, est neurologiquement programmé pour la destruction de la planète. Le philosophe Karl Marx a été prémonitoire en disant il y a environ 150 ans que : « Le développement de la civilisation et de l’industrie en général s’est toujours montré tellement actif dans la destruction des forêts que tout ce qui a été fait pour leur conservation et leur production est complètement insignifiant en comparaison. »
Dans cette crise écologique aggravée par des crises sanitaires intermittentes, la population mondiale est logée à la même enseigne. La planète et les humains qui y pullulent passent un mauvais quart d’heure, mais le perdant est connu d’avance, c’est l’Homme s’il poursuit son œuvre destructrice. Pour sûr, la première survivra au second mais celui-ci ne peut survivre en la détruisant.