Unique, magique, fantastique, ludique, bouleversant, bluffant… Je peux continuer à énumérer les adjectifs pour décrire le film de Abdelhamid Bouchnak, Papillon d’or.
Le jeune réalisateur en est seulement à son deuxieme long métrage, mais quelle maitrise ! Et quelle maturité.
Ce film qui est une véritable ode au cinéma comme art, comme création, comme inventivité nous offre une immersion dans l’inconscient du personnage central qui nous plonge dans ses réminiscences.
La présence de Fethi Haddaoui montre à quel point un acteur peut aller dans son jeu : tantôt clown, tantôt père-tyran, il met sa performance d’acteur au service d’un cinéma différent où il ne s’agit plus de héros ou de anti-héros mais de création et d’invention.
L’amour est au centre du questionnement. Et notamment la relation père et fils.
“J’ai pris le risque de déconstruire la réalité du personnage central, Moez, policier de son état, en gardant une certaine logique dans son voyage fantastique avec l’enfant” affirme le réalisateur.
Abdelhamid Bouchnak dérange, dans tous les sens du terme.
Il dérange parce qu’on ne sort pas indemne de ses films. Le spectateur non averti est désarçonné. Les néophytes ne comprennent pas d’emblée. Les autres s’intéressent à l’originalité du film, aux lumières, aux lieux, aux espaces et vont au-delà de l’explication première qui est la relation père-fils, qui construit la personnalité ; l’artiste qui n’arrive pas à s’imposer dans un univers ingrat. Le clown qui veut faire rire mais qui cache une grande tragédie, ce personnage qui représente la partie de nous qui n’est pas visible socialement. Le clown est un diamant brut qui n’a pas été façonné par la société et qui réagit à sa manière, c’est-à- dire singulièrement.
Le clown a besoin de son public pour exister, sinon il n’est rien. Comme le cinéaste d’ailleurs qui est un peu ce clown qui montre le bonheur, l’amour, la colère, la dépression, la rage, le dégoût, la fascination…
Nous voyageons avec Abdelhamid Bouchnak comme posés sur sa caméra pour entrer dans son monde onirique. Le cinéma c’est avant tout une création, des références, un univers ; le cinéma c’est aussi un rêve qu’on rend possible. Avec Bouchnak, le cinéma est écriture et spectacle en même temps.
L’enfant Moez est silencieux tout au long du film. Mais son silence est assourdissant. Il est spectateur de sa propre vie que nous voyons défiler.
Bouchnak dérange aussi parce qu’il défie les grands cinéastes tunisiens : il est déjà dans la cour des grands même s’il avoue chercher encore sa voie. Mais le cinéma n’est-il pas une expérience sans cesse renouvelée ? Avec très peu de moyens, il arrive à imposer un film plein de couleurs, étonnant en même temps que classique, plein de vie malgré la douleur du jeune Moez, magique et fantasmagorique, donnant à voir et reconnaître ses inspirateurs. Il veut séduire son public mais aussi ses pairs ; mais il n’a pas osé aller jusqu’au bout du jeu puisqu’il donne au spectateur les clés pour décoder son univers à la fin du film. Par humilité peut-être.
Le cinema est magique ; il transforme la paille en or.
Ingmar Bergman écrivait “ le cinéma en tant que rêve, le cinéma en tant que musique. Aucun art ne traverse, comme le cinéma, directement notre conscience diurne pour toucher à nos sentiments, au fond de la chambre crépusculaire de notre âme.”
Abdelhamid Bouchnak est en train de nous offrir un cinéma nouveau, différent, intelligent et riche. Il nous cache certainement beaucoup de choses encore.
Myriam BELKADHI